Le défi de Vodianoï
Cette histoire débute un jour de printemps. Le famille Vorchev se préparait à quitter l’accueillante isba de bois au profit d’une demeure plus rapprochée de la ville et du marché. Leur domovoï Krivi les accompagnait bien sûr. Averti la veille, il ne se serait séparé des Vorchev pour rien au monde. Ils prenaient si bien soin de lui, la famille, bien que composée d’un couple et de leur petite fille uniquement, était si joviale et chaleureuse. Une bonne couche de neige recouvrait le dehors, gardant les pins et les bouleaux dans leur sommeil insondable pour quelques semaines encore. La glace fondait tranquillement et le givre des petites fenêtres s’évaporait. Une de ces journées où le soleil occupe tout le ciel et se reflète sur toute chose.
Le feu mourrait dans l’isba. Krivi, petit esprit invisible du foyer, était lové dans les braises, ne dormant que d’un oeil vu l’exitation du départ. Avec précaution, comme ses parents lui avaient demandé, la petite fille transféra à l’aide de pinces quelques braises dans une boîte métallique. Le domovoï en profita pour s’y glisser. Ainsi il pourrait suivre la famille jusqu’à leur nouvelle demeure. Il se rendormit peu après.
Les Vorchev, empactant leurs derniers biens, sortirent au grand air et fermèrent pour la dernière fois la porte de bois. Tout leur avoir sur le dos, ils traversèrent l’ancien potager et s’avanturèrent le long du sentier familier qui traversait la forêt. Déjà leurs pieds protégés par d’épaisses bottes en fourrure foulaient son sol et piétinaient la neige fondante. Et ainsi ils marchèrent toute la journée, le coeur léger, leurs jambes les portant vers une vie nouvelle. Toutefois, alors que le soleil rejoingnait peu à peu l’horizon, le père de la famille commença à douter de la quiétude des bois. Tout était bien trop calme, les troncs gris se succédant partout autour, leur cohésion, leu ressemblance. Était-il déjà passé par là? À quelques mètres au-dessus de leurs têtes, au travers des branches appartenant à un cèdre en spirale, un petit être était camouflé. Il se nommait Lechy. Grattant distraitement sa barbe, l’esprit de la forêt se félicitait de son adresse et de son incroyable sens de l’humour. Comme il était amusant d’égarer les voyageurs! Leur paniques occasionnelles étaient délectables. Dommage que cette fois, il n’oeuvre pas pour son compte : il aurait volontiers pris quelques esclaves de plus dans son domaine. Le petit esprit cessa donc d’embrouiller le chemin des trois personnes : il les avait menés là où il le fallait de toute façon. Le père Vorchev tendit l’oreille. Il y eut un ou deux bruissements dans les arbres. Puis, il décela le ruisselement d’un cours d’eau tout près. Pourvu qu’il y ait un pont... Pourtant, il n’arrivait pas à se rappeller l’existence d’une rivière quelconque à traverser. Ils étaient certes perdus. Depuis un moment déjà, le soleil demeurait incapable d’acheminer sa lumière entre les fûts. L’ouest révélait tranquillement son manteau nocturne. La première étoile apparut. Un vent nordique se leva. Les Vorchev découvrirent le cours d’eau une trentaine de mètres plus loin. Ils remarquèrent que le terrain devenait de plus en plus rocheux et accidenté. La rivière courrait librement, complètement dégelée par la venue du printemps. Aucun pont en vue. Néanmoins, certaines pierres osaient déchirer le courant. Les emprunter n’aurait pas été impossible, mais certainement périlleux. Fatiguée et méfiante, la famille décida de passer la nuit près de la rive et de chercher un autre chemin en amont le lendemain. Ainsi, des lits de fortune furent aménagés avec des couvertures et de jeunes branches de sapin. Un petit feu fut allumé et Krivi fut placé à proximité. Ce dernier se réjouit de la chaleur. Par contre, il n’aimait pas beaucoup rester enfermé dans cette boîte de métal. Il commençait à avoir faim. L’esprit poussa quelques soupirs et s’assit, las de dormir. Mais nul ne l’entendit. Le petite fille et ses parents s’étaient rapidement endormis, bien emmitouflés.
***
Krivi perçut des sifflements, puis des fredonnements au dehors de son étrange abri. Il n’y prêta pas attention au début, mais ils augmentaient d’intensité et se rapprochaient promptement. Un groupe d’hommes revenant d’une fête sûrement et qui chantonnaient des airs sans grand souci de justesse. Curieux, il décida néanmoins de jeter un coup d’oeil. Soulevant le lourd couvercle avec précaution, Krivi laissa pénétrer l’air glacial de la nuit et frissonna. Il fit un rapide tour d’horizon, entendant toujours les fredonnements, mais ne nota rien de particulier. Que le vent faisant gémir les arbres. Que le bruissement saccadé de la rivière. Le crépitement du feu qui rendrait bientôt l’âme et ses dernières chaleur sur la neige. Le domovoï se retourna pour scruter de nouveau le cours d’eau et s’aperçut avec horreur que les Vorchev étaient disparus! Laissant tout derrière eux et même lui, fidèle ami qu’il était. Comment avaient-ils réussis à s’éclipser en deux secondes. Comment avaient-ils pu le quitter? Alors qu’il songeait à cela avec tristesse et colère, il se rendit compte que la mélodie s’était tue. Décidé d’en avoir le coeur net, il bondit hors de sa cachette et descendit jusqu’à la rive enneigée. - Oh, tiens! Quelle bonne surprise! Es-tu vraiment un de ces gentils esprits du foyer? Il est si rare d’en voir par ici... s’exclama un petit homme à quelques mètres de lui qu’il n’avait même pas remarqué. Il était de la même grandeur que lui et avait de nombreuses rides. Sa peau était même plissée à certains endroits. Il portait un simple pantalon clair et s’appuyait sur un bâton tortueux. Ses paroles étaient des plus enjôleuses et son sourire affable. - Oui, je suis bien un domovoï, répondit-il fièrement. Est-ce vous que j’ai entendu siffler tout à l’heure?
- C’était bien moi... Je te prie de me pardonner. Honnêtement, loin de moi était l’idée de te déranger ou de te déplaire, expliqua l’autre de façon cordiale.
- Qui êtes-vous? demanda Krivi avec intérêt.
- Je ne suis qu’un tout petit esprit de l’eau... Mon nom est Vodianoï.
- Enchanté de vous connaître. Dîtes-moi vous n’auriez pas vu trois personnes passées par ici? Deux grandes et une petite fille? Je suis à leur recherche.
- Mmmm, franchement, je ne crois ni les connaître, ni les avoir vus, ni les avoir entendus, ni en avoir entendu parler... Je suis vraiment désolé. Je ne peux guère vous aider, répondit-t-il avec le même air qu’au tout début. Le domovoï désespérait. Il avait à présent la certitude qu’on s’était simplement débarassé de lui. Et il était là, tout seul, dans le froid et avec un estomac vide. Il s’assit sur une pierre et laissa son regard dérivé sur la rivière. Vodianoï ne bougeait pas. Debout et souriant. - Va donc dans la forêt. Tu les trouveras sûrement là-bas. Crois-moi. Ils sont là-bas, continua-t-il. À ce moment, il eut l’impression que quelque chose bougeait dans l’eau. Il regarda plus attentivement, espérant découvrir de quoi il s’agissait... - Je t’assure. Dans la belle forêt. Ici, il n’y a rien. Il n’y ait jamais passé personne. Des cheveux flottant comme des algues dans le courant. Des peaux blêmes. Des visages. - Pourquoi ma famille est-elle prise dans la rivière? s’écria le domovoï avec panique et colère. Ils ne voulaient pas y aller. Qu’est-ce qu’il font là? Il se précipita vers eux, mais une force maléfique le retenait sur la rive. Il lui était impossible de toucher l’eau. Impossible d’aider sa famille. - Pas si vite, gentil esprit. La rivière est mon domaine et tu ne m’a pas demander la permission d’y entrer... repris tranquillement l’esprit des eaux.
- S’il vous plaît, sortez-les ou donnez-moi la permission de les rejoindre, s’impatienta Krivi.
- Non, fit-il satisfait.
- Pourquoi?
- C’est moi qui décide. Et je ne plierai certainement pas devant un simple domovoï hors de son territoire et moins puissant que moi.
- Qu’est-ce qui vous fait croire que je suis moins puissant? répliqua l’autre durement.
- Oh, le petit veut jouer. Je ne voudrais pas être désagréable : je veux bien jouer avec lui... Apporte-moi un cadeau brillant de ce tendre Zmeï et je te rendrai ta chère famille, c’est promis, proposa Vodianoï toujours souriant. Ne voyant guère d’autre solution, Krivi accepta. Il aurait bien voulu demander quelques précision à cet esprit aussi tordu que son bâton, mais celui-ci ne lui en donna pas l’occasion. Il se volatilisa en moins d’une seconde avec les Vorchev. Où? Il n’en savait rien. Plus découragé que jamais, il rebroussa chemin. Le feu était à présent éteint et il n’y avait plus que la lune qui l’éclairait. Voulant oublier sa solitude, il chercha de quoi se nourrir dans les bagages de sa famille, mais voir ses biens ne faisait que le décourager encore plus et lorsqu’il trouva un bout de pain à se mettre sous la dent, il avait perdu son appétit. Alors, il pensa au cadeau brillant et à Zmeï... Qui c’était lui de toute façon? Décidément, tout était perdu d’avance. *** Il quitta les lits des Vorchev et erra dans la forêt, se promenant sans but et grande conviction. L’est écartait les ombres et jaunissait. Le soleil allait bientôt poindre comme les premières pousses du printemps. Normallement, Krivi se serait alors couché, mais il ne voulait pas. Il était bien trop triste. Si bien, qu’il ne remarqua pas qu’on l’observait. - Un esprit du foyer! poussa quelqu’un derrière lui avec contentement.
- Non! répliqua-t-il, soudain boudeur. Je ne suis pas un domovoï, je ne suis pas gentil et je ne veux pas savoir qui vous êtes! Krivi se mit à marcher d’un pas décidé droit devant lui. Il s’était fait avoir une fois, pas question qu’il se fasse avoir une deuxième. - Eh oh, camarade, poursuivit l’inconnu d’un ton réclamant plus de respect. Dis-moi plutôt ce qui se passe au lieu de t’en prendre à moi. Se sentant soudainement coupable et injuste, le domovoï des Vorchev s’arrêta et fit face à son interlocuteur. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’il était aussi un esprit du foyer. Il était légèrement plus petit, mais sa barbe était nettement plus grande. Il portait un grand chapeau pointu. S’était-il également retrouvé seul et sans toit à cause de ce Vodianoï? Krivi s’empressa de lui narrer sa mésaventure. L’autre écouta très attentivement, paraissant même surpris à certains passages. Lorsque Krivi eut fini son récit, le curieux domovoï resta silencieux plusieurs secondes. - Ce Vodianoï est vraiment terrible. Il n’en a pas l’air, mais je suis certain qu’il attrape tous les baigneurs qu’il voit pour le plaisir de les noyer ou de les frapper avec son bâton. Il est complètement dérangé... dit-il, songeur. Voyant le mine déconfite de son confrère, il s’empressa d’ajouter maladroitement qu’il n’en était pas totalement sûr... - Je me nomme Zordéloy et je me suis retrouvé ici parce qu’on m’a chassé, expliqua le deuxième domovoï.
- Chassé? Comment cela? s’inquiéta Krivi.
- Ma famille est partie ailleurs et elle n’a pas cru bon de m’emporter avec elle j’imagine. Et puis lorsqu’une autre famille est arrivée dans ma maison, elle avait déjà le leur. Je n’ai pas vraiment eu d’autre choix que de m’en aller...
- C’est triste, compatit le premier.
- On s’habitue. Seulement, il faut toujours se méfier pour ne pas se laisser marcher sur les pieds.
- En tout cas, de mon côté, je ne suis pas plus avancé. Le ciel nuageux laissait prévoir une chute de neige dans plusieurs heures. Le soleil, bien qu’ascendant, ne divulguait que peu de lumière et la forêt était encore plongée dans la pénombre. Zordéloy parraissaît réfléchir et Krivi regagnait espoir. - Zmeï... Zmeï... Ce nom me dit quelque chose, murmura-t-il à lui-même.
- Tu le connaît? s’enthousiasma le domovoï des Vorchev.
- Attends attends... Ça me revient... Si, je sais maintenant qui c’est! Son expression de gloire s’effaça brusquement, remplacé par un profond abbatement. - Si c’est vraiment ce que je crois, nous ne sommes pas plus avancé...
- Allez dis-moi!
- Ce petit Zmeï est en fait Zmeï Gorynytch... Il habite dans une sinistre caverne et c’est un énorme serpent à neuf têtes. Tout ce qu’il y a de plus sympathique. On raconte qu’il garde de fabuleux trésors... *** Les deux domoviye marchaient vers les montagnes. Il y avait des cavernes dans les montagnes. Bien que ne sachant pas par où commencer leurs recherches ni comment voler un trésor brillant à un monstrueux serpent, il fallait bien commencer quelque part. D’ici à ce qu’ils trouvent le repère de Zmeï Gorynytch, ils auraient amplement de temps de trouver une solution à leur problème. Assomer le serpent en créant un éboulement de roches, parlementer avec lui, le retenir prisonnier de sa caverne jusqu’à ce que mort s’en suive... Ils élaborèrent de nombreux plans, mais tous étaient bien trop complexes ou irrationnels pour fonctionner. Krivi avait retrouvé son appétit et, puisqu’il était bien difficile de penser l’estomac vide, ils décidèrent de s’arrêter un moment et de ramasser des baies gelées pour se sustenter. La neige commença alors à tomber. Il n’y avait presque aucun vent et les flocons, en ouate duveteuse, planaient longuement dans les airs avant de se poser délicatement sur le sol. Des jaseurs dans les cèdres, accompagnés de quelques mésanges, sautaient de branches en branches. La nature semblait peu à peu se réveiller. Les domoviye, reprenant leur marche, arrivèrent aux abords d’une petite clairière bien particulière. Elle paraissait suspendue dans le temps puisqu’elle était totalement dépourvue de neige et que celle qui tombait fondait avant même d’atteindre le sol. Le sol, il était couvert par des milliers de pousses et de fleurs de couleur bleue, jaune, rose. De la mousse odorante croissait sur les rochers et embaumait l’air. Des plantes grimpantes se tordaient sur l’humus, cherchant désespérément un appui, et retenaient une forme sinueuse et vert pâle étendue au milieu de la clairière. Krivi et Zordéloy s’en approchèrent, se méfiant mais suivant les désirs de leur curiosité. Cependant, lorsque la forme bougea, ils s’arrêtèrent net. Il leur semblait évident maintenant que c’était une femme. Elle était de dos à eux et s’étirait les bras. Les esprits du foyer l’entendirent même bailler. Ses longs cheveux vert foncé tombaient tout autour d’elle. Les plantes la retenaient toujours, mais se relâchaient selon ses mouvements, comme si elles lui obéissaient. En réalité, elle aurait été une femme sans certains détails comme la couleur de ses cheveux ou de sa peau légèrement verte. Elle était peu habillée et ses loques la couvraient de façon lâche. Elle se retourna lentement et sursauta en voyant les deux esprits. Ses grands yeux s’ouvrirent encore plus et elle poussa une exclamation de surprise. - Bon... Bonjour, prononça-t-elle hésitante. Qui êtes-vous? Je suis Roussalka. Les domoviye se présentèrent et résumèrent leurs mésaventures. La jeune fille leur semblait fort sympathique. - Alors, vous recherchez Zmeï? s’assura Roussalka en baillant de plus belle.
- Oui, est-ce que vous sauriez où nous pourrions le trouver? demanda Krivi avec espoir.
- Bien entendu, répondit-elle avec lenteur. Les deux esprits se regardèrent, soulagés et contents. - Mais même si je vous y menait, comment feriez-vous pour lui voler quelque chose? s’enquit la femme avec ennui.
- En fait, nous y songeons encore... Mais nous allons sûrement trouver une idée d’ici peu, répondit Zordéloy avec enthousiasme.
- Oui, sûrement, renchérit l’autre un peu moins certain.
- Vous savez, on ne m’appelle pas le génie des forces végétales pour rien... Je pourrais peut-être vous être utile, ajouta Roussalka en souriant et en clignant de l’oeil. *** Ils n’avaient jamais imaginé qu’une entrée de caverne appartenant à un serpent à neuf têtes puisse être aussi haute et funèbre. Les domoviye avaient dormi durant la nuit non loin de là. C’était à l’aube qu’ils voulaient agir. La neige avait cessé de tomber mais le ciel était encore nuageux. L’atmosphère était plus froide à cette hauteur. Roussalka les avait aidé à escalader la montagne. Elle avait parue dix fois plus escarpée à cause de leur taille. Il était impossible de voir le fond de la caverne. Un noir d’encre l’occupait. Et pourtant, ils devaient entrer. Tranquillement, ils cheminèrent jusqu’à l’entrée. Aucune pierre ne frémissait, aucun son à leurs oreilles. Les esprits entrèrent donc de quelques pas. Ne voyant plus rien au bout d’un moment, ils se tinrent les épaules pour ne pas s’égarer. Puis, sentant un mouvement dans l’air, ils s’immobilisèrent. Malgré leurs yeux nocturnes, il leur était impossible de percer la noirceur. Un souffle venait vers eux. Des glissements sourds sur le roc, des bruits étouffés de respirations. - Eh oh, lança Zordéloy tremblant. Les sons firent écho, se répercutant sur les parois de la caverne. En une fraction de seconde, des crissements et des sifflements aigus, horribles, se firent entendre. Les domoviye n'attendirent pas plus. Ils prirent leurs jambes à leurs cous, rebroussant chemin. Ils continuèrent à courir une fois au dehors et, sans regarder en arrière, déboulèrent quelques mètres et s’enfoncèrent dans la forêt. Ils courrurent sans relâche, entendant les hurlements stridents de Zmeï. Il rampait juste derrière eux, éveillé par les intrus. Les poursuivant, fou de rage, il pénétra dans les bois avec eux. Il s’emmêla deux ou trois têtes dans les ronces puis, s’en assomma une autre sur un tronc d’arbre. La forêt lui était hostile et sa végétation le retardait. Cela ne faisait qu’augmenter sa colère et ses cris stridents se répendaient dans la nature tel un gaz empoisonné. Bientôt, il s’arrêta, ses têtes écailleuses examinant les alentours. Il ne savait plus quelle direction prendre. Les intrus s’étaient évanouis. Fort mécontent, il revint en arrière. *** Les domoviye étaient de nouveau devant la caverne de Zmeï Gorynytch. Roussalka les avait distancés et pourrait encore tromper le serpent quelques minutes avec des broussailles et des arbres changeant de place, suffisamment pour permettre aux esprits de trouver un cadeau brillant. Ils pénétrèrent cette fois à grande allure dans la noirceur et suivirent les parois à tâtons. Se déplaçant rapidement, ils arrivèrent bientôt devant d’étranges chandelles allumées. Leurs flammes se miroitaient sur le trésor du serpent. Il occupait toute une salle de la galerie et encore, les esprits n’arrivaient pas à percevoir sa fin. Le sol était couvert de pièces d’or et partout des coffres s’ouvraient sur des joyaux, des pierres précieuses, de l’argenterie, des bijoux. Plus loin, d’immenses tapisseries et de riches tapis aux couleurs éclatantes. Et encore des meubles de bois noir ou de pommier aux contours finement ouvragés. Des toges et des robes de fil d’or, des statues d’ivoire et de diorite, des parchemins et des livres poussiéreux aux enluminures époustouflantes. Il y avait là tant de richesses que les esprits en furent un moment étourdis et confus. Néanmoins, ils retrouvèrent le but de leur visite et se mirent à chercher un cadeau brillant. Il ne devait être ni trop lourd, ni trop grand. Il fallait se dépêcher. Zmeï reviendrait en peu de temps. Un éclat orangé capta leur attention. C’était un magnifique collier d’ambre. Ils le prirent aussitôt et se précipitèrent pour sortir. À l’extérieur, ils perçurent un bout d’écaille. Des sifflements stridents se répercutaient sans cesse, n’aidant pas les domoviye à garder leur sang froid. Ils sautèrent dans les rochers et se cachèrent du mieux qu’ils purent. À cet instant, ils virent le monstre et leurs corps se figèrent d’effroi. Il était d’une grandeur terrifiante et ses têtes portaient des cornes aiguisées. Ses écailles flamboyantes aux couleurs du feu glissaient sans peine entre les pierres et ses yeux jaune délavé brillaient de colère. Ses langues fourchues goûtant l’air interminablement, il retrouva son repère et disparut dans l’ombre. *** Flottant dans les airs, Roussalka guidait les domoviye jusqu’au cours d’eau de Vodianoï. En moins de deux, ils se retrouveraient à ses rives et tout rentrerait dans l’ordre. Le collier d’ambre étincelait au soleil, ses teintes de miel envoûtantes. - La voilà! s’écria la jeune fille. Nous arrivons à la rivière. Cinq minutes plus tard, ils voyaient son écoulement paisible. Vodianoï apparut d’un coup, son éternel sourire aux lèvres. - Tiens! Bonjour très chers, comment allez-vous? Comme il est plaisant d’avoir de la visite en une si belle journée, commença l’esprit de l’eau.
- Je vous ai apporté un trésor venant du serpent Zmeï comme vous me l’avez demandé. À présent, relâchez ma famille, coupa Krivi en lui tendant le collier.
- Quel joli bijou! s’exclama l’autre. Je le prends volontiers. Toutefois, rien ne me prouve qu’il vient de chez ce gentil Zmeï et je ne vois pas de quelle famille vous parlez, insinua tranquillement Vodianoï.
- Tu le sais très bien, Vodi! s’emporta Roussalka. Cesse de jouer les innocents!
- Mais qui parle de jouer. Je ne joue pas, commença-t-il. Un son cristallin de harpe les interrompit. Ils se retournèrent et virent un beau jeune homme assit de travers sur un cheval blanc et adossé sur un tronc d’arbre. Il pinçait distraitement les cordes d’un instrument. Iarilo, dieu de la nature qui s’éveille, de la jeunesse et de la passion. - Je t’ai entendu Vodianoï, prononça-t-il avec la même tranquillité que l’esprit. Il détourna son regard de sa petite harpe pour fixer le petit homme plein de malice. Le dieu souriait. - Tu as promis. Et lorsqu’on promet, l’on doit tenir parole, continua-t-il avec un ton enfantin.
- Mais... hésita Vodianoï qui perdait peu à peu son calme et son assurance.
- Je ne t’ai pas demandé de répliquer, exposa l’autre sèchement, mais d’obéir. Prends le cadeau et relâche les Vorchev. Le cheval blanc et son cavalier s’étaient rapprochés. Le dieu portait une couronne de fleurs blanches et des épis de seigle tenaient le rôle de sceptre. Son autorité semblait incontestable. - Exécution. Bien malgré lui, Vodianoï fit ce qu’il avait promis en maugréant. Encore endormis, les Vorchev sortirent des eaux et planèrent, étonnamment secs, jusqu’à leurs lits impeccables. Ils prirent exactement la même position qu’auparavant. L’esprit des eaux, pour sa part, se fondit dans le décor avec frustration. - Petit esprit, reprit Iarilo avec gentillesse à l’adresse de Krivi, puisque tu portes un si grand amour à ta famille, je cru bon d’intervenir. Il y a déjà longtemps que Vodianoï nous cré des ennuis. Je crois qu’il se tiendra tranquille pour un bon moment cette fois.
- Je vous remercie grandement. ***
La famille Vorchev se réveilla peu après. La rivière avait disparu, la forêt avait changé d’aspect. Le père de famille savait à présent où ils se trouvaient. Il devait avoir fait de drôles de rêves pour se sentir aussi confus. Leurs bagages étaient partiellement défaits : probablement un animal sauvage affamé attiré par l’odeur du pain ou de la viande qu’ils avaient transportés. Rapidement, ils se levèrent et reprirent la route. À peine plus d’une heure leur suffit à atteindre leur nouvelle demeure. Ils placèrent les anciennes cendres dans le four à bois et allumèrent un feu. Krivi, dans son sommeil, sentit les flammes l’envahir et soupira d’aise. Ils étaient tous arrivés à bon port. Il avait bien demandé à Zordéloy de les suivre et de venir habité avec eux, mais celui-ci avait refusé. Il n’était domovoï qu’en théorie et s’était habitué à vivre seul dans la forêt. Toutefois, les esprits promirent de se rendre visite.
Et le printemps s’installa définitivement. Le temps s’annonçait plus clément. Roussalka devait à présent aider l’éclosion des bourgeons et bientôt, toute la contrée fut envahie par ses fleurs et ses fruits.
Kiayta (17 ans) |