Oberjin le Domovoy
« Il fait bon ici… Le feu brûle bien… Comme j’aimerais rester ainsi pour toujours… »
Mais Oberjin le Domovoy savait parfaitement que ce n’était pas possible. Il y avait tant de choses à faire pour rendre l’izba de ses maîtres encore plus agréable. Et de toute façon, comme tous ceux de son espèce, il détestait l’inactivité. Discrètement, le petit esprit sortit de derrière la cheminée pour aller ramasser les restes de crème et de pain laissés sur la table à son attention. Puis il alla s’activer du côté des écuries. Les chevaux étaient doux et leur présence le détendait. Mais au fond de lui Oberjin était tendu. Il savait que cette situation ne durerait pas. Ses maîtres avaient besoin de bois pour leur maison. Et bientôt il devrait partir pour en chercher. Ce serait son premier grand voyage… Que d’émotions rien que d’y penser. Quand aurait-il lieu ? Il ne le savait pas exactement. Il le saurait le moment venu, quand on l’appellerait. Pour l’instant il devait se contenter de se tenir prêt et attendre le signal du départ.
Et il vint enfin. Un soir. Sans prévenir. Oberjin ressentit cet appel qui venait de nulle part. Il n’y eut pourtant aucun bruit. Mais il perçut au fond de lui le signe que l’heure du rassemblement était arrivée. En cet instant précis d’autres Domovoys se dirigeaient vers les bois. A la clairière des bois perdus pour être exact. Et ils avaient besoin de lui pour invoquer Doubynia, l’esprit de la forêt, et lui demander du bois pour leurs maisons. La loi était stricte avec Doubynia. Sept Domovoys devaient l’appeler grâce à des chansons, et lui offrir des présents pour obtenir ses faveurs. Il fallait se hâter pour ne pas faire attendre ses six amis qui étaient sans doute déjà en route. Tandis qu’il préparait son paquetage, Oberjin sentait l’appel se faire de plus en plus pressant. Hâte toi petit Domovoy. Hâte toi. Car sans toi jamais Doubynia ne se montrera. Son premier grand voyage… Enfin ! Il en tremblait presque de joie. Il n’en oublia cependant pas ses affaires. De la crème, un peu de pain, quelques roubliz… autant d’éventuels présents pour Doubynia. Il ne devrait pas oublier de compléter cela avec des fruits ou des jolies pierres trouvées sur le chemin. Il en faudrait beaucoup pour plaire à l’esprit de la forêt.
Et ainsi paré, Oberjin s’éloigna de l’izba de ses maîtres pour pénétrer dans les bois. Il lui faudrait deux jours pour atteindre la clairière. Il ne devait pas trainer. Hâte toi petit Domovoy, hâte toi. Car le grand Doubynia n’attend pas. Il s’engagea sur un grand sentier qui traversait la forêt. Il n’y était jamais allé auparavant, mais d’instinct il connaissait le chemin. Rester sur le sentier pendant près d’une journée. Prendre à gauche après le gros chêne centenaire. Suivre les plants de baies. Jusqu’à la clairière. Pas plus compliqué pour un Domovoy. Sans s’arrêter Oberjin ramassa des fruits sur son passage. Ils sont différents de ceux que l’on trouve au marché. Bien plus juteux. Ceux de ce gros arbre plairont surement à Doubynia, on n’en trouve que ici. En plus ils donneront assez d’énergie pour marcher toute la journée. Oh ! Et là ! Des racines de naille ! Ca fera une excellente potion de vitalité. Doubynia n’en voudra pas. Il déteste les plantes. Mais pour un petit esprit qui fait un si long voyage, ça a de l’importance. Et Oberjin trottine ainsi toute la journée, jusqu’à la nuit tombée. Quand il ne peut plus rien distinguer, il décide de s’arrêter. Il ne s’agit surtout pas de se perdre dans les bois. Il pourrait ne plus retrouver son chemin. Et il serait en retard pour rejoindre ses compagnons. Mais ce qui fait le plus peur à Oberjin, c’est de tomber sur le méchant Lechy. Rien que d’y penser, il en frissonne. Pour son premier voyage il ne voudrait pas d’ennui…
Allez hop ! Un petit feu d’allumer, et au revoir les soucis. Il fait bon ici et les fruits ramassés son délicieux. Bien que les Domovoys adorent chanter près du feu, Oberjin n’en fait rien ce soir là. Il doit être en forme demain pour pouvoir repartir dès les premières lueurs de l’aube. Aussitôt après avoir fini son repas, il prend quand même le temps de broyer les différentes plantes et herbes ramassées au cours de la journée. On mélange le tout, et voilà de quoi tenir pendant une bonne partie de la suite de son périple grâce à cette potion revitalisante de premier choix ! Maintenant que cela est fait, il faut se reposer. Oberjin s’enroule dans sa couverture et se blottit près du feu. « Il fait bon ici… Comme dans l’izba des maîtres… » Le petit esprit a un peu la nostalgie de sa maison. Mais ce n’est pas le moment d’y penser. Il y retournera bientôt. Et avec du bois en plus, pour la rendre encore plus belle ! Sur ces paroles motivantes, il ferme les yeux et s’endort.
Tard dans la nuit des bruits le réveillent. Des espèces de grognements et des bruits de branches qu’on écrase. Une boule en travers de la gorge Oberjin se redresse et rajoute précipitement des brindilles dans le feu. Peut-être n’est-ce que son imagination qui lui joue des tours… Ou peut-être pas… Et si c’était l’affreux Lechy qui l’avait apercu et qui venait voler ses affaires ? Jamais il n’aurait du penser à cela. Il s’empara de son sac et le serra contre lui. Si il revenait sans bois à la maison, les maîtres seraient très déçus. Et Oberjin ne voulait pas décevoir ses maîtres. Les bruits se rapprochaient de plus en plus. Si ça avait été Lechy qui l’observait, il lui aurait sans aucun doute déjà foncé dessus. Lechy n’était pas patient du tout. Oh non. Si c’était une bête sauvage qui rôdait dans l’ombre, le petit Domovoy savait quoi faire. Rien à craindre dans ce cas. Tous les animaux respectaient les Domovoys en mission. Il n’avait qu’à faire valoir son titre. Oberjin s’écria alors d’une voix claire qu’il se voulait normale: « Domovoydi, domovoyda, bête des forêts laisse moi en paix. Au nom du pacte qui nous unit je te prie de passer ton chemin. Domovoydi, domovoyda. » Puis il attendit la réaction de la bête, espérant qu’elle passerait son chemin comme elle était censée le faire. Normalement… Mais les bruits de branches écrasées et d’herbe foulée reprirent et se rapprochèrent. Maintenant Oberjin pouvait distinguer les yeux jaunes de l’animal. Cette créature allait l’attaquer. Elle ne respectait pas leur alliance. Il allait se faire dévorer. Non ! Il devait s’en sortir. Sa mission avant tout. D’une main tremblante, il sortit un pot de crème de son sac. Peut-être que la bête s’en contenterait et s’en irait sans lui faire de mal et sans rien lui voler d’autre… Ou peut-être pas… Il déposa le petit pot devant lui et recula de quelques pas. A présent il apercevait le pelage sombre de l’animal. Noir comme la nuit. Une bête des ténèbres… Même si les esprits sont très puissants et sont censés être très courageux, Oberjin se mit à trembler et ferma les yeux. Non non, pas de peur. Il avait froid. C’est tout. Du moins c’est ce dont il essayait de se convaincre…
Miaou… ! Mais que ? Il ouvrit un œil, puis l’autre, et découvrit avec stupéfaction… un petit chat noir qui se régalait avec la crème. D’où pouvait-il bien venir ? Il devait avoir été abandonné par ses anciens maîtres. Quelle honte de faire une chose pareille ! Comme tout le monde le sait, les Domovoys aiment beaucoup les animaux. Il ne put donc se résoudre à chasser le petit intrus. Puisque c’est comme ça, il le ramènera chez ses maîtres. Leur petite fille sera ravie d’avoir un nouvel ami. Et Oberjin pourra se distraire en lui racontant sa journée. Le chaton donna son accord avec joie et accepta de faire le voyage pour découvrir sa nouvelle maison. Ainsi tous les deux rassurés sur leur sort, ils s’endormirent l’un contre l’autre jusqu’au matin.
Dès l’aube, Oberjin était debout. Un petit déjeuner rapide, et en route. Il n’avait plus beaucoup de temps avant l’heure du rendez-vous. Le petit chat, surnommé Moustache, trottinant à ses côtés, il marcha gaiement jusqu’au vieux chêne. De là, il quitta le sentier balisé et s’engagea dans les hautes herbes denses. Au bout de quelques heures de marche il s’arrêta net. On l’appelait. Ca venait de plus loin droit devant lui. Du lieu dit de la cascade dorée exactement. De là où il se trouvait, il entendait en pensée les cris de désespoir d’autres Domovoys. Un de leur compagnon s’était perdu dans la forêt. Cela faisait déjà deux jours qu’ils l’attendaient, sans nouvelle. Ils appelaient à l’aide pour qu’un autre Domovoy vienne le remplacer afin qu’ils puissent enfin appeler Doubynia. Voilà qui était bien embêtant… Ce n’était pas du tout la direction dans laquelle Oberjin marchait. En plus ça le mettrait en retard, et ses compagnons seraient furieux. Eux aussi étaient pressés. Mais le petit Domovoy a bon cœur. Il ne peut laisser d’autres esprits dans le besoin. En plus celui qui s’est perdu est peut-être en danger. Il fera vite se dit-il. Mais il voulait savoir ce qu’il en était. Il ne pouvait les abandonner ainsi sans être rassuré. Il ne voulait surtout pas rentrer avec son bois , rempli de remords de n’avoir rien fait pour ce Domovoy perdu. Alors il s’élança dans les bois en direction de la cascade. Il courut aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient. Par la pensée, il cria aux autres : « Domovoydi, domovoyda. Tenez bon mes amis, me voilà ! »
Oberjin gagna rapidement la cascade. A son arrivée, il fut accueilli par de nombreux cris de joie. Les Domovoys, si malheureux auparavant, étaient maintenant rayonnant de bonheur. Aussitôt chacun sortit de son sac un instrument de musique. Un grand feu fut allumé, et Oberjin fut pris dans un tourbillon de chansons. Oubliant pourquoi il était venu, il sortit son armonica et accompagna de sa mélodie ses six compagnons. Ils chantèrent et jouèrent ainsi pendant plusieurs heures. L’après-midi était déjà bien avancé quand le vent se leva brusquement. Les Domovoys virent les arbres se pencher afin de libérer un passage. Les branches s’écartaient pour faire place à un homme : Doubynia, l’esprit de la forêt ! Ils l’avaient enfin trouvé… Leurs chants avaient séduit le maître des lieux qui s’avançait à présent vers eux. Doubynia n’est pas très patient, c’est bien connu. Aussi personne ne prit le risque de le retarder en lui adressant la parole. Sans aucun regard pour les petits esprits, le grand Doubynia alla droit vers le sac à dos le plus proche. Il l’ouvrit et en examina le contenu sans se préoccuper de savoir si tout à l’intérieur lui était destiné. Il en retira de la nourriture et quelques pièces, puis se dirigea vers la sac suivant. Aucun Domovoy n’osa bouger pendant l’inspection de Doubynia. Inutile de le mettre de mauvaise humeur. L’esprit s’accapara ainsi différents objets dans chacun des sacs. Mais comme il est plutôt gourmand, il ne laissa pas grand-chose à l’intérieur de chacun. Heureusement les Domovoys savent se débrouiller pour trouver de la nourriture sur leur chemin, ils ne mourraient donc pas de faim. Doubynia recula légèrement et dévisagea lentement chaque personne présente sur les lieux. Au bout d’un long moment, il prit enfin la parole : « Longue fut votre route petits Domovoys. Mais soyez rassurés, Doubynia apprécie vos présents. Soyez donc récompensés pour votre générosité… » Il leva les bras d’un geste rapide et fit apparaître une grande quantité de bois. Les Domovoys étaient ravis. C’était du très bon bois. Solide et de bonne qualité. Leurs efforts avaient porté leurs fruits. Enfin ils allaient pouvoir rentrer chez eux.
Mais alors que Doubynia s’apprêtait à s’en aller, Oberjin osa enfin parler. « S’il vous plait maître, attendez. Un de nos amis s’est perdu en forêt. Il va mourir si nous ne venons pas à son secours. Ne pouvez-vous pas l’aider. S’il vous plait… » Les autres Domovoys se figèrent d’effroi. Comment osait-il adresser la parole au grand Doubynia ? Pourvu que celui-ci ne se mettent pas en colère. Il pourrait leur reprendre leur bois, ou pire… Oberjin par pitié, tais-toi ! Mais ce dernier n’en fit rien. Il regarda ses compagnons, furieux. « Comment osez-vous laisser tomber un ami ? Il a aussi quitté son foyer pour venir vous aider à récupérer du bois. Il aimerait aussi rentrer chez lui. Mais il ne le peut pas, lui ! Vous devriez avoir honte. Si je suis venu vous rejoindre, c’était parce que je pensais que vous vouliez l’aider, et non dans le seul but que vous puissiez rentrer chez vous. » Des regards gênés furent échangés. Il avait raison, c’était incontestable. Mais que pouvaient-ils faire ? Ils étaient si petits, et ils ignoraient où leur ami s’était perdu. Ils commencèrent à protester lorsque Doubynia prit la parole. « Je ne peux rien faire pour votre ami. Vous êtes venus me trouver pour avoir du bois, vous l’avez. Il est inutile de demander une autre faveur sans présents. Et vos sacs sont vides. Si vous ne rentrez pas maintenant, vous mourrez de faim, comme votre ami. »
Une petite voix tremblante s’éleva du groupe. « Et… et si nous vous rendons le bois en échange de votre aide pour notre ami ? » Des murmures coururent autour du petit groupe. Des oui, des nonpasquestion, des pourquoi pas… Ce fut un grand « Oui faisons le ! » qui trancha net la discussion. Tout le monde était d’accord. Tant pis pour le bois, leur ami avant tout. D’un claquement de doigts, Doubynia fit disparaître les superbes morceaux de bois. Puis il siffla. Le bruit produit ressemblait étrangement à celui du vent. A quoi pouvait-il bien servir ? Soudain, une petite boule de lumière surgit de nulle part et fonça vers le groupe. Elle freina devant Doubynia, et la créature s’inclina devant lui. « Voici Ayrel, une fée. Elle saura retrouver votre compagnon et vous conduira auprès de lui. Après ce sera à vous de vous débrouiller. Bon courage petits Domovoys pleins de courage. » Le vent se leva aussi brusquement que lors de l’apparition de Doubynia, et il repartit dans les profondeurs de la forêt.
Bon, et maintenant ? Comment se faire comprendre d’une fée ? Etait-elle vraiment capable de retrouver leur ami ? Tous les regards étaient fixés sur Ayrel, soupçonneux et curieux de voir ce qu’elle allait faire. Tout à coup elle s’élança vers les bois et pénétra dans leur obscurité. Prenant leur courage à deux mains, les sept Domovoys se lancèrent immédiatement à sa poursuite. Tout en avançant, de nombreuses questions leur venaient à l’esprit… Peut-on vraiment faire confiance à cette petite créature … ? Allons nous parvenir à retrouver notre chemin… ? Notre ami va-t-il bien… ? Petits et agiles comme ils étaient, ils n’eurent aucun mal à suivre la fée. Ils la perdaient parfois de vue lorsqu’elle changeait brusquement de direction derrière un arbre. Mais ils la retrouvaient toujours qui les attendait un peu plus loin. Et soudain ils le virent ! Une petite forme recroquevillée au pied d’un grand chêne. Ils l’appelèrent. Une tête se leva, indécise, n’osant croire qu’on venait le chercher. Et pourtant… Le Domovoy perdu apercut sept compagnons qui couraient vers lui en lui faisant de grands signes. Il était sauvé ! Enfin il allait pouvoir retrouver la douce chaleur de l’izba de ses maîtres. Ils se jetèrent tous dans ses bras. Et de joie, ils entonnèrent une chanson.
Quand ils reprirent enfin leur calme, et s’apprêtèrent à demander à la fée de les reconduire sur le chemin, celle-ci fit une rapide révérence et s’éclipsa en un instant. Les Domovoys restèrent sans voix. Comment retrouver le sentier à présent. Ils ne connaissaient pas cette partie de la forêt… Se fiant à leur instinct, ils tentèrent de retourner vers la cascade. Malheureusement tout se ressemble dans la forêt. Le moral était au plus bas quand la nuit commença à tomber. Ils avaient certes retrouver leur ami, mais maintenant ils étaient perdus et n’avaient pas obtenu le bois tant désiré. Ils faudraient recommencer une expédition plus tard, et trouver de nouveaux présents pour Doubynia. Quel problème ! Oberjin pensait à ses amis qui devaient l’attendre en ce moment dans la clairière. Ils devaient s’inquiéter et être en colère. Ils le seraient encore plus lorsqu’il viendrait leur avouer qu’il ne pouvait pas les aider à appeler Doubynia puisqu’il n’avait plus de cadeaux pour lui. En voilà une mauvaise journée. Dommage que le vilain Bouka ne soit pas là. Ca lui aurait un peu remonté le moral de le chasser. Le petit chat se frotta contre ses jambes pour lui montrer son affection. Mais à part un léger sourire sur son visage, cela ne changea rien.
Soudain, Moustache fit un écart et s’enfonça dans un fourré en miaulant aussi fort qu’il le pouvait pour attirer l’attention des huit compagnons. Oberjin tenta de l’appeler pour qu’il revienne. Ce n’était pas le moment qu’il se perde lui aussi. Mais comme le chaton ne semblait pas décidé à faire marche arrière, Oberjin dut plonger à son tour dans le buisson pour aller le chercher… « Venez voir, tous ! Vite vite ! » Le son de sa voix qui criait fit sursauter les Domovoys. Inquiets ils se précipitèrent pour rejoindre leur ami. Celui-ci se tenait accroupi devant un gros coffre. C’était à cause de ça que Moustache était parti aussi vite. Il avait apercu le coffre et était allé voir de plus près ce que cela pouvait bien être. Que pouvait-il contenir ? Fallait-il prendre le risque de l’ouvrir ? Si il était piégé, ce n’était pas une bonne idée. Mais peut-être que… Ce fut Oberjin qui prit la décision. « Je n’ai plus rien à perdre, pensa-t-il. » D’un geste décidé, il fit sauter la serrure et souleva le lourd couvercle.
A la vue de son contenu, le regard des Domovoys s’emplit de joie. Il y avait plein de nourriture, de l’argent, des plantes et tant d’autres choses indescriptibles… Ils se les répartirent équitablement. Même après la division par huit, le sac de chacun fut bien rempli. Maintenant, ils avaient certainement de quoi contenter Doubynia une seconde fois. Si ils retrouvaient leur chemin… C’est alors qu’ils aperçurent un dernier objet au fond de la malle. Une sorte de sphère. Lorsque Oberjin la prit dans sa main, elle se mit à scintiller et s’éleva dans les airs. Lentement elle se déplaça à travers la forêt. Sans savoir pourquoi, les Domovoys la suivirent. La boule éclairait bien le chemin, aussi personne ne trébucha sur une vieille racine ou ne s’empêtra dans les branches basses. Et au bout de quelques heures, un bruit d’eau leur parvint. L’étrange sphère les avait emmenés à la cascade ! Fantastique ! Ils n’étaient plus perdus du tout. Les sept Domovoys coururent jusqu’au bord de l’eau et entreprirent de déballer leurs affaires afin d’organiser une grande fête qui attirerait forcément Doubynia. Mais Oberjin resta en retrait. Il savait que si il pénétrait dans la zone qui environnait la cascade, Doubynia ne se montrerait pas. Seuls sept Domovoys pouvaient l’appeler, pas un de plus. Il aurait bien voulu poursuivre sa route, mais il faisait nuit noire à présent et il ne voulait pas prendre le risque de se perdre à nouveau. Dans sa tête il pouvait presque entendre les appels de ses six compagnons qui l’attendaient impatiemment. Les autres Domovoys semblèrent les entendre eux aussi, car ils s’arrêtèrent soudain. Ils se regardèrent, gênés. C’était à cause d’eux que Oberjin n’était pas à l’heure à son rendez-vous. Mais que pouvaient-ils y faire à présent ?
Un Domovoy à grande barbe se redressa, le regard brillant. Il ramassa la petite sphère qui s’était posée à terre et la tendit à Oberjin. « Quand nous avons voulu rentrer, elle nous a conduit ici. Si tu souhaites rejoindre tes amis, peut-être qu’elle éclairera ta route et te conduira vers eux au plus vite… » L’idée semblait bonne. Oberjin prit le globe dans sa main et murmura : « S’il vous plait, je voudrais rejoindre mes amis… Je vous en prie… » Aussitôt la pshère s’éleva dans les airs, brilla de tous ses feux et se mit à slalomer entre les arbres. Oberjin lui emboîta le pas. Pas question de la perdre ! Il se retourna pour voir ses compagnons qui lui faisaient de grands signes de la main. « Domovoydi domovoyda prends bien soin de toi ! Et merci ! » Puis ils disparurent, les arbres les cachant à sa vue.
Oberjin marcha une partie de la nuit. Quand il gagna enfin la clairière des bois perdus un grand feu était allumé. Et, formant un cercle tout autour, ses amis se tenaient là, instruments à la main, l’attendant sans bouger. L’inquiétude se lisait dans leurs yeux, même si ils tâchaient de paraître imperturbables. Oberjin les appela de loin. Aussitôt les têtes se levèrent et des sourires vinrent illuminer les visages. Il courut vers ses amis aussi vite que sa fatigue le lui permettait et se jeta dans leurs bras. « Me voilà enfin arrivé. Désolé pour le retard. Maintenant hâtons-nous d’appeler Doubynia. » Au milieu des danses et des chants, la fatigue s’envola et la joie s’installa. Peut-être que l’esprit de la forêt n’apparaitrait pas ce soir-là. Mais Oberjin savait qu’ils finiraient par le débusquer. Et quand ils auraient leur bois, chacun regagnerait son izba. Et tout redeviendrait comme avant. La maison tranquille, le feu dans la cheminée… Tout ? Non. Oberjin savait qu’il lui faudrait repartir un jour dans la forêt. Quand ? Il ne le savait pas encore. Mais désormais, c’est avec impatience qu’il attendrait le signal du rassemblement. Avec impatience certes, mais qu’est ce qu’on est bien, blotti auprès du feu quand même…
Suyana
|