Afin de faire comprendre aux autres domovoys la situation extraordinaire dans laquelle nous vivons, j'ai invité tout le village chez moi pour une grande réunion. Après avoir narré ma rencontre avec Dennitsa, je m'attendais à beaucoup de réactions mais non à cela. J'avais devant moi un attroupement d'yeux ronds, dubitatifs et très sceptiques. Moi qui avais construit une petite estrade pour que je puisse voir l'étonnement de tout le monde, devant tant d'"excitation contenue", j'aurais voulu creuser un trou dans lequel m'y blottir. En proie au désarroi, je n'avais pas vu un petit groupe d'enfants qui m'observait attentivement. _"La suite Bibop ! On veut savoir la suite !" _"Je vous ai tout dit les enfants." _"Non ! Dis-nous qui veille sur la bulle alors ? Où habitaient les domovoys avant d'être plongés dans le lac par Dajbog ? Pourquoi le mal doit exister pour faire briller le bien ? Pourquoi c'est à toi que Dennitsa a parlé et pas à moi ?..." Devant toutes ces questions, je me suis trouvé affreusement bête, ne sachant que répondre, je me balançais d'un pied sur l'autre et dodelinais de la tête comme une marionnette. Il est vrai que de savoir que notre cité est dans une bulle protectrice n'était finalement que la première pierre de l'édifice de notre histoire. Bien décidés à en savoir plus, à comprendre, les enfants m'acclamèrent lorsque je repartis dans la forêt, à la rencontre de Dennitsa, ma belle déesse. Je marchai longuement mais je n'avais ni mal aux jambes, ni soif : le but de mon voyage me tenait et me tirait vers lui. Arrivé près du lac, Dennitsa était déjà là et m'acceuillit avec un grand sourire. _"Je t'attendais Bibop. Je pensais que tu voudrais que je te raconte une autre histoire." De la voir, j'étais très ému : moi si petit, simple domo, je parlai avec une déesse. Encore mieux que cela ! Elle m'attendait. Un peu amoureux le Bibop ? A cette pensée, je préfère hausser les épaules et revenir à l'essentiel. J'ai demandé à Dennitsa de me décrire les personnes qui nous protègent contre l'extérieur. Après une longue inspiration, les yeux rivés vers le lac, Dennitsa commença: _"Quand Dajbog mit Domovia dans une bulle, pendant des siècles, tout se passa bien. Isolée, cachée, Domovia était autonome et libre. Il vint un temps cependant où la guerre fit rage sur terre. Domovia n'était pas concernée car elle était immergée mais les combats avancèrent et le lac où ta cité est plongée s'est trouvé entre deux feux. Aucun tsar n'avait encore revendiqué ce lac, il semblait appartenir à la mère Nature, un point c'est tout. Mais, le tsar gagna la bataille contre les barbares et le lac devint sien. Tu sais Bibop, quand l'homme se bat pour quelque chose, il a tendance à croire que cette chose lui appartient. Lorsque le tsar mourut, ses deux fils se partagèrent l'héritage mais Domovia, son lac, devint le sujet de discorde : ainsi débuta cette guerre fratricide. Konstantine et Yuri souhaitaient détenir l'endroit où leur père avait gagné contre les rebelles. Cette terrible guerre s'était arrêtée après un siège de plus de deux mois près du lac : Domovia était donc une cité à avoir, pour la gloire." Je ne comprenais pas comment deux frères pouvaient se haïr pour un simple lac, fût-il le reflet d'une victoire. A quoi bon vouloir briller d'un acte que nous n'avons pas commis ? Fronçant les sourcils, je gardai ces pensées pour moi et laissai continuer Dennitsa. _"Les deux frères avaient tous deux une armée et elles se battirent jusqu'au bout. Konstantine et Yuri moururent au même instant, frappés par la mort, mais la guerre ne se termina pas pour autant. Les ressentiments étaient si forts que les soldats continuèrent de se battre, au-delà de leurs trépas, dans une autre vie, sous l'eau. A l'heure où nous parlons Bibop, cette guerre continue car il n'y eut jamais de gagnant ni de perdant et il n'y en aura jamais. Naturellement, si le pardon triomphe entre les deux frères, alors il n'y aura que des gagnants. A se battre ainsi dans le lac, les armées en oublient ceux qui y habitent, vous, les domovoys. Votre bien être ne les a jamais concerné, trop obsédés par cette fièvre de possession qui ont amené les deux frères à se massacrer. Le mal sévirait et influencerait la vie à Domovia s'il n'y avait pas Dobrynia Nikitich: c'est un héros, un grand homme. Dobrynia a toujours aimé l'aventure: petit, il chassait déjà les dragons puis vint le tour de Zméï Gorynytch. Alors qu'il allait le tuer, Dobrynia décida de l'épargner et de passer un accord avec le terrible serpent. Si Zmeî ne nui plus aux hommes, alors il aura la vie sauve. Bien entendu, peu après avoir accepté, Zmeï viola l'accord à peine après avoir repris sa liberté: il vint rejoindre les deux frères, dans le lac, attiré, sans doute, par le sang et la haine. Zmeï ne fait parti d'aucun camp, il veut percer la bulle de Domovia et vous tuer tous mais, Dobrynia est là. Tu sais Bibop, pour ce héros, c'est une lutte perpétuelle: il se bat contre les soldats des deux frères et contre l'affreux dragon." -"Il y arrive tout seul??!!" -"Non Bibop" sourit Dennitsa: "il enseigne l'art du bien au combat à des jeunes gens valeureux, le coeur gonflé de justice. Ils sont une petite trentaine à se battre pour vous." Pour moi, savoir que l'on se battait pour le bien de Domovia sans que les domovoy s'y mettent aussi, était inadmissible. -"Il faut aller les aidés!" Déjà, je me redressai, prêt à partir au combat, mon baluchon sur l'épaule. Dennitsa, la belle déesse, éclata de rire, je me suis senti très vexé: oui, je suis petit, oui, je ne sais pas me battre mais, mieux vaut partir la fleur au fusil que pas partir du tout, surtout pour une grande cause! "Tant de courage et de volonté t'honorent Bibop mais sais tu vraiment ce qui t'attend aux frontières de Domovia? Que peux tu faire contre des hommes dangereux et armés qui ont vaincus la mort et se battent depuis des centaines d'années?" Voir les choses ainsi était d'un pessimisme! J'ai préféré ne rien écouter et me laisser envahir par un puissant sentiment conquérant, jusque là insoupçonné. Me sentant soudain d'humeur guerrière, j'ai levé mon baluchon au dessus de ma tête et j'ai poussé un cri barbare, sorti du fin fond de mes entrailles. Je me suis mis à courir vers la frontière Domovienne, me sentant poussé des ailes. Au bout d'une quinzaine de minutes, mon enthousiasme se trouvait quelque peu altéré: je ne savais pas où je pourrai retrouver le grand héros Dobrynia. Dépité, je revins vers Dénnitsa: "-Elle est où la sortie?" Je l'accorde, pour débuté une guerre, mieux vaut savoir où elle se trouve: j'avais mal commencé mes premiers pas dans l'univers des guerriers mais, comme on dit, à coeur vaillant, rien d'impossible!!
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