L’école, quel que soit le bâtiment qui l’abrite, c’est d’abord la classe. Dans le langage scolaire, il n’est guère de terme plus polysémique. La classe, c’est à la fois un groupe d’élèves, une séquence d’enseignement (liée à l’organisation pédagogique), un lieu (la salle de classe, elle-même insérée dans une architecture particulière) et un temps de vie spécifiques. On peut lire, à travers l’évolution de cet espace, les grandes étapes de l’histoire de l’enseignement primaire.
La diffusion massive d’une instruction élémentaire dispensée par l’école est, plus qu’on ne le croit souvent, le résultat d’un processus de longue durée. Sous l’Ancien Régime, la fréquentation des petites écoles, où l’on apprend à lire et le catéchisme, éventuellement à écrire et à compter, est encore un phénomène lacunaire, très inégal selon les lieux, les milieux et les sexes. C’est déjà, néanmoins, un processus globalement irréversible. À la différence de l’administration royale, guère concernée, l’Église de la Contre-Réforme, soucieuse de promouvoir la « vraie foi » contre l’hérésie protestante, y joue un rôle décisif. Par ailleurs, s’affirme une demande croissante de la part des familles, de plus en plus sensibles à l’unité pratique des savoirs élémentaires. Ainsi, peu à peu, mais irrévocablement, la société enfantine prend-elle le chemin de l’école. EN CLASSE DANS LA FRANCE RURALE D’ANCIEN RÉGIME La petite école rurale occupe une place privilégiée dans l’iconographie scolaire. Dans la tradition flamande de la scène de genre, des peintres tels que Adriae Van Ostade, Maerten Van Heemskerck ou Jan Steen sont sensibles au pittoresque qui émane de la classe du « régent » de village (voir encadré) : dans un local pour le moins rustique, le maître fait face à une cohorte d’enfants d’âges variés, souvent filles et garçons mêlés. Assis à sa chaire, il fait réciter à un élève ses lettres ou son catéchisme, tandis que le reste du groupe s’adonne à des activités diverses. Parfois, excédé par trop de bruit ou de désordre, il se dresse, menaçant, la férule à la main. À travers cette peinture du quotidien se fixe un archétype de la petite école, auquel les artistes restent durablement fidèles, quitte à laisser dans l’ombre des formes de pédagogie plus élaborées. On y trouve néanmoins bon nombre de notations réalistes relatives au fonctionnement des écoles de campagne. La première caractéristique de cette petite école est de n’avoir pas de lieu propre. Une pièce du presbytère, une maison louée par la communauté, le logis du maître, voire une simple grange, font l’affaire. Rien, donc, ne distingue l’école de l’architecture commune. Une salle ordinaire, souvent l’unique pièce à vivre du maître, sert de classe. La « classe unique » est donc de règle et c’est elle, d’ailleurs, que désigne le langage usuel sous le terme d’école ou de petite école, réservant le terme encore savant de classe à l’organisation sophistiquée des collèges. Au village, la présence d’une école spéciale pour les filles reste un luxe rare. La petite école pratique donc une mixité de fait, qui contrevient formellement aux prescriptions réitérées de l’Église. Un mandement épiscopal de 1711 rappelle que « les écoles de garçons ne seront tenues que par des hommes ; et les filles [...] instruites par quelques filles ou femmes de piété ». Quelques congrégations féminines se proposent, en effet, d’enseigner les rudiments aux filles des campagnes. Tel est le cas des Sœurs d’Ernemont qui ouvrent, dans le seul diocèse de Rouen, une centaine de petites écoles au cours du XVIIIe siècle. Si les maîtres et maîtresses congréganistes disposent d’une formation minimale, ce n’est généralement pas le cas du régent de village, dont la pédagogie est essentiellement empirique. Au demeurant, quelle pédagogie exigeante résisterait aux conditions dans lesquelles il doit exercer ? Même s’il dispose d’un local convenable, le mobilier et le matériel pédagogique lui sont chichement comptés : une chaire et un pupitre, quelques bancs, quelques planchettes que les écoliers calent sur leurs genoux, une table ou deux pour les « écrivains », des plumes, de l’encre et du papier, l’indispensable férule, voilà tout. Le revenu qu’il tire de son magistère, dont l’écolage versé par les familles, ne lui permet guère d’autres dépenses. La plupart des élèves ne fréquentent sa classe que pendant les quatre ou cinq mois d’hiver où leur présence à la ferme n’est pas nécessaire. Ils n’ont pas de livres « de classe » ; quelques abécédaires ou livres de piété disponibles dans les familles en tiennent lieu. Aussi le maître n’a-t-il d’autre ressource que de consacrer successivement quelques minutes de son temps à chaque écolier. Telle est la « méthode individuelle », en usage dans les petites écoles rurales. Routinière, tôt dénoncée comme archaïque, cette pédagogie n’en est pas moins liée à l’émergence d’un véritable réseau scolaire, dense déjà dans les régions du Nord et de l’Est du royaume, plus discontinu, voire encore inexistant, dans les régions situées au sud d’une ligne allant de Saint-Malo à Genève. Dans cette France, rurale à plus de 80 %, la croissance globale de l’alphabétisation, si limitée soit-elle (de 14 à 27 % pour les femmes, de 29 à 47 % pour les hommes entre 1700 et 1790), est en partie à mettre à son actif.
Régent de village au XVIIIe siècle Au village, le choix du maître résulte généralement d’un accord entre la communauté d’habitants et le curé. Le candidat est soumis à un examen de ses connaissances. Le régent doit obtenir ensuite de l’évêché une lettre d’approbation. Les postulants sont le plus souvent d’origine modeste, cadets d’artisans ou de paysans, sachant suffisamment leurs rudiments pour solliciter un emploi de magister, préféré au travail de l’échoppe ou à celui des champs. Outre son enseignement, le régent de village assume de multiples tâches qui font de lui l’auxiliaire du curé. Par exemple, selon ce contrat d’embauche d’un maître d’école (1771), le régent doit « tenir les écoles avec assiduité », balayer l’église tous les samedis et veilles de fête, assister le curé pendant la messe, sonner l’angélus, « conduire et régler l’horloge de l’église, aider et accompagner Monsieur le Curé dans l’administration des sacrements et les inhumations » ; enfin, « apprendre aux enfants leur catéchisme, à lire, à écrire, l’arithmétique et le plain-chant à ceux qui auront de la voix et de la disposition pour apprendre ». En échange, il est exonéré d’impôt et perçoit un salaire fixe annuel de 90 £ et 18 boisseaux de blé ainsi qu’un « casuel » (revenu occasionnel) de 30 sols par mariage et 2 £ 15 sols par inhumation (1 £ = 20 sols ; le salaire annuel d’un simple ouvrier de manufacture est alors d’environ 200 £). Le droit d’écolage qu’il perçoit de ses élèves, proportionnel à leur degré d’apprentissage, est révélateur du découpage des acquisitions, dans la pédagogie d’Ancien Régime : 5 sols par mois pour les élèves débutants, 6 sols pour ceux qui lisent le latin (il s’agit ici d’exercices d’épellation, le latin présentant l’avantage de n’avoir ni lettres muettes ni accentuation), 7 sols pour ceux qui lisent le français, 8 sols pour les « écrivants », 9 sols pour ceux qui lisent l’écriture gothique (ou lettres de civilité, proches de l’écriture manuscrite), 10 sols pour ceux qui apprennent l’arithmétique. A suivre, si toutefois la suite vous interesse.........
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