La septième nuit après la lune rousse, une brume vaporeuse enveloppe la forêt et là, dans le silence, les esprits de la forêt qui dorment au creux des arbres s’étirent. Alors, les arbres, surpris dans leur quiétude, dérangés dans leur somnolence, frissonnent et étendent leur ramure. C’est à ce moment précis que certaines feuilles recueillent quelques gouttes de rosée. Chaque feuille, berceau humide, se détache alors de son arbre et tombe, voltige, tournoie, tombe encore, doucement, doucement, vers le sol mousseux. Si, par hasard, un esprit de la forêt ouvre un œil alangui sur la feuille qui se balance dans les airs, s’il lui accorde un seul petit regard, une seule petite étincelle de sa vie sans âge, alors, et alors seulement, la magie s’opère. C’est comme si un rayon de soleil brûlant venait toucher la feuille qui s’envole, c’est comme si elle irradiait d’une lumière inattendue dans l’obscurité sylvestre. C’est à ce moment-là que, dans le vide naît une petite conscience, oh, pas grand chose, juste une toute petite pensée, minuscule, recroquevillée sur elle-même. Et la feuille d’arbre tourbillonne toujours, attirée vers le sol qu’elle ne connaît pas. Quand elle se pose, légère, inexistante, parmi les brindilles et les herbes hautes, elle semble une petite feuille morte comme les autres mais, enroulé dans sa fragile couverture, dort, paisible, une sorte de petit lutin. Un très jeune lutin à la barbe rousse qui dormira jusqu’au lever du soleil, protégé par les esprits de la forêt, sous la voûte majestueuse des arbres dans laquelle sont accrochées les petites lucioles clignotantes des étoiles.
Voilà comment nous naissons, du moins, c’est ce que m’ont raconté mes amis de la forêt. Peut-être ne détiennent-ils pas toute la vérité, peut-être que c’est ce beau parleur d’écureuil qui a raison quand il dit que nous sommes des flocons d’étoiles tombés du ciel… Je ne sais pas… Mais je suis certain que vous aussi, vous vous êtes déjà demandés d’où vous veniez…
Ce que je peux vous dire, c’est que ce matin-là, sous le pâle soleil d’octobre, je me suis retrouvé emmitouflé dans une grande feuille de chêne, que la brume flottait encore en nappes épaisses autour de moi et qu’il faisait sacrément froid. Je ne savais pas qui j’étais, où je me trouvais, mais j’étais convaincu que je venais juste de m’éveiller d’un profond et très long sommeil.
Je me suis étiré longuement, j’ai rajusté mon bonnet et défroissé mon gros paletot humide et en relevant le bout de mon nez, j’ai vu la plus merveilleuse chose que je n’aie jamais vue (d’accord, ce n’est pas bien difficile pour un petit lutin fraîchement sorti de son nid !) : léger et irréel, rouge et or, fragile fleur au cœur de la forêt, un papillon voletait autour de moi. Obnubilé par le mouvement gracieux de ses pétales, je l’ai suivi sans savoir ce que c’était vraiment…
Oh, je manque à toutes les convenances, je ne me suis même pas présenté, je m’appelle Lullaby. Cela veut juste dire « berceuse ».
Mais il se fait tard maintenant, et j’ai promis au chevaux de leur donner un peu d’avoine, je les entends qui piaffent pour me le rappeler… Revenez me voir, je vous raconterais bien volontiers la suite de mon histoire !
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