Je suivais donc ce magnifique papillon d’or et de feu. Il voletait de ci de là, sans se presser, et j’avais presque l’impression qu’il ralentissait son vol parfois, pour que je ne le perde pas de vue. Quand j’arrivais à proximité, j’étendais les mains pour l’attraper mais il repartait vivement et je me reprenais à le suivre. Je ne sais pas combien de temps dura mon cheminement dans la forêt. Je peux juste vous dire que lorsque je levai enfin les yeux vers la cime des arbres, le soleil avait dépassé son zénith. Je commençais à me demander ce que j’allais bien pouvoir devenir, dans cette forêt que je ne connaissais pas. Je jetai un regard tout autour de moi mais mes yeux butaient sur des buissons, j’avais perdu la trace du beau papillon. Il y avait, à ma gauche, un petit sentier de sous-bois, sombre et humide mais c’était là le seul chemin que je pouvais emprunter : en me retournant, je me demandai alors comment j’avais bien pu, subjugué par ma chasse au papillon, traverser une forêt aussi dense. Il était hors de question que je rebrousse chemin pour revenir à mon point de départ et puis, de toute manière, qu’y aurais-je trouvé de plus ? Avec courage, du moins était-ce ce dont j’essayais de me convaincre, j’avançais sur le petit sentier sinueux. Il y faisait de plus en plus sombre, quelquefois, des bruissements, des ombres, et même quelque chose qui ressemblait à des éclats de rires étouffés me faisaient sursauter. Je regrettais de plus en plus de m’être aventuré si profondément dans les bois. Quel idiot je faisais ! J’aurais dû chercher des lumières, que sais-je, peut-être une petite maison cachée dans la forêt… On ne construit pas les maisons au beau milieu des fourrés ! Je secouais ma tête de droite à gauche, tout à mes réflexions, ce qui faisait tinter le petit grelot doré qui se trouvait au bout de mon bonnet. Je continuais sur mon petit chemin, de plus en plus abattu, de plus en plus triste et… de plus en plus affamé ! Enfin, mon estomac gargouillait tellement fort que je me dis que ce bruit ferait fuir les bêtes qui se seraient montrées un peu trop curieuses. Cette pensée me fit sourire et me donna un peu d’entrain. Le sentier était à présent plus obscur que le ventre d’un four. J’avançais, les mains en avant, les joues griffées par des ronces et trébuchant à chaque pas. Dans un battement de paupières, je crus discerner une faible lumière. Je m’arrêtai, je frottai mes yeux du dos de mes mains, prêt à regarder plus attentivement le noir qui m’entourait. Je n’avais pas rêvé ! Le papillon ! Le papillon de tout à l’heure ! Je l’avais retrouvé et curieusement… oui, curieusement, il brillait, comme embrasé ! Je ne l’aperçus qu’un court instant mais je m’élançai sans réfléchir. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Ce papillon était venu me chercher ! Je courais comme je le pouvais, les pans de ma veste retenus par des branches, mes mains fouettées par les herbes piquantes, je courais, courais, courais encore, cherchant la petite lueur dorée, les yeux écarquillés à scruter la nuit. Et puis, tout à coup, plus rien à nouveau. Je m’assis par terre, haletant et grelottant. J’entendais à nouveau des sortes de rires étouffés. La situation n’était pas brillante. Je m’adossai à un arbre et fermai les yeux, épuisé. Quelque chose me piqua le bras. Je tendis la main et sentis quelque chose de mou et de poisseux s’écraser sous mes doigts. J’approchai ma main de mon nez et une odeur délicieuse, sucrée monta à mes narines : des mûres sauvages ! Cela constituait un maigre repas, même pour un petit lutin mais cela me réconforta et à tâtons, en me piquant moultes fois, je cueillis des mûres que j’avalai goulûment. Un peu plus confiant en mon sort, je levais les yeux vers la cime des arbres. Quelle ne fut pas ma surprise de voir au dessus de ma tête un grand rond piqueté de points brillants. Je devais me trouver dans une clairière. A la vue des étoiles, mon cœur s’apaisa un peu. J’enfonçai mes mains meurtries dans mes poches et y trouvai une boîte. Je l’ouvris avec difficulté et reconnus sous mes doigts un bout de pierre froide et une boule d’une sorte de paille crissante. Je savais ce que c’était… Je fis un effort pour me le rappeler… Oui, attendez, c’était une boîte à amadou ! J’allais pouvoir faire un peu de feu et me réchauffer ! Avec le plat de la main, je tâtai le sol à la recherche d’herbes sèches, de brindilles et de petites branches mortes dont je fis un petit tas. Sans hésiter, je frottai la pierre pour en faire jaillir des étincelles qui enflammèrent l’amadou. Cela me semblait simple, comme si je l’avais déjà fait des dizaines de fois ! Je soufflai sur le petits tas de branches doucement, comme pour ne pas effrayer les étincelles et soudain, je vis une minuscule flamme ! Mon cœur battit plus fort, transporté de joie ! Au bout de quelques instants, mon petit feu prit réellement et, avec cette lueur nouvelle, je pus examiner l’endroit où je me trouvais : c’était bel et bien une clairière, bien que je n’en discerne pas les contours. Et puis, j’étais si fatigué… si fatigué que je croyais toujours entendre ces rires dont je vous ai déjà parlés ! Je préférai ne pas y prêter attention et je ramassai un peu de bois autour de moi pour alimenter mon feu. Puis je me recroquevillai dans ma veste déchirée, tout près de la chaleur rassurante du feu. Je m’endormis presque aussitôt que ma tête eut touché le sol. Et toute la nuit, je rêvais de petites lucioles dorées voletant au dessus de ma tête, en un ballet féerique. Cette nuit-là fut bien étrange, j’aurais même juré entendre une voix douce et profonde me murmurer : « N’aie crainte, petit bonhomme, nous veillons sur toi… » Mais quand vous êtes perdu au milieu d’une forêt, et que vous avez marché toute la journée, vous préférez ne pas vous poser de questions et vous vous laissez submerger par le sommeil.
Je vous ai retenus très tard ce soir. Regardez, la lune brille au dehors ! Il est temps d’aller se reposer. Je vous souhaite une bonne nuit. Oui, oui, je vous raconterais la suite de mon aventure. Revenez me voir quand vous aurez un moment.
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