Il faisait encore nuit lorsque je me réveillai mais je crus pourtant que le soleil s’était levé car une lumière douce et chaude perçait derrière mes paupières encore closes. Quand j’ouvris les yeux, je crus d’abord que je rêvais. Comment vous dire ? Je m’étais endormi dans un endroit froid, morne, silencieux et qui avait tout l’air de m’être hostile. Et là, et là !! Ce que je vis en premier, c’était des dizaines de minuscules boules de lumières qui flottaient dans les airs. Elles brillaient tellement fort que je ne parvenais pas à les fixer assez longtemps pour savoir ce que c’était. C’était leur lueur qui éclairait la clairière ! Et même si je n’avais observé que le charmant ballet de ces petites lucioles, j’aurais trouvé ce spectacle enchanteur. Pourtant, ce n’était pas tout ! La clairière, baignée dans cette douce lumière, avait pris un tout autre aspect et n’avait vraiment plus rien d’inquiétant. Ce qui était le plus extraordinaire, c’était un immense lit posé au milieu du cercle formé par les arbres. Comment vous le décrire… Imaginez quatre arbres centenaires, au tronc noueux, au feuillage blanc et argent, plantés en rectangle au milieu d’une clairière. Imaginez qu’il semblent inclinés bien bas les uns vers les autres comme dans une révérence. Imaginez alors que leurs racines se soient entremêlées tout comme leurs branches retombant en cascade et forment ainsi une sorte de berceau végétal. Entre leurs racines, un matelas de feuilles, de mousse, de plumes, de petites fleurs, semblait inviter au repos.
J’étais fasciné ! Je ne savais pas où je me trouvais mais je ne craignais rien. Soudain, une petite luciole vint se poser juste sur mon nez ce me fit horriblement loucher. J’avais beau essayer de fixer mon regard sur la petite chose, je ne parvenais pas à voir la malicieuse petite bête que je chassais d’un geste vif de la main. Mais cela n’eut pour effet que de la faire s’envoler puis de se reposer au même endroit, aérienne et agile. Je la chassai à nouveau, ce qui produisit le même résultat. Je grommelai alors entre mes dents : « Veux-tu bien me laisser tranquille, vilaine petite bête ? ». J’entendis alors un petit rire cristallin et la luciole voleta au dessus de ma tête avant de se planter devant moi à une distance suffisante pour que je puisse la voir. Je restai stupéfait et confus : ce n’était pas du tout, mais alors là, pas du tout un insecte ! Devant moi, dans sa bulle de lumière orangée, se trouvait une toute petite demoiselle. Je tendis la main bien à plat et elle vint se poser gracieusement. Elle ne pesait rien, à pleine plus qu’une libellule. Elle avait de longs cheveux dorées qui ondulaient doucement sur ses épaules, un petit visage mutin dans lequel brillaient deux yeux noisette. Elle portait une drôle de petite robe que j’aurais juré confectionnée dans des pétales de jonquilles extrêmement luisants. Elle allait pieds nus et portait à la main un petit panier qui n’était rien d’autre que le capuchon d’un gland auquel elle avait fixée une anse d’herbes tressées. Et dans son dos, s’agitaient doucement deux ailes translucides ! Je la regardais bouche bée, ce qui fit éclater encore son petit rire si clair.
- Es-tu toujours certain que je sois une vilaine petite bête ? dit-elle en pouffant de rire. Je balbutiais des excuses maladroites ce qui la fit rire de plus belle. - Qu’est-ce que… tu es ? - J’aurais préféré que tu demandes qui je suis mais tant pis pour les convenances ! Je m’appelle Cléia et j’appartiens au peuple de la forêt au même titre que toi !
Pendant qu’elle me parlait, Cléia s’était confortablement installée sur une branche à hauteur de mon visage. Elle tenait en équilibre sur cette fragile branche, assise en tailleur, son petit panier posé à côté d’elle. Quant à moi, adossé à un arbre, je l’écoutais, émerveillé.
- Au même titre que moi, tu dis ? - Gros nigaud, ne sais-tu pas qui tu es ? - Et bien non, je me suis réveillé ce matin, j’ai cherché mon chemin, j’ai suivi un papillon rouge et or, je l’ai perdu et je me suis retrouvé là… - Tu es un lutin, tu fais partie de notre peuple. Et tu ne t’es pas perdu : Tes pas t’ont juste conduit à nous et jusqu’à la Dame des Bois... - J’ai suivi un papillon, me crus-je bon d’ajouter. - C’était sans doute la Dame qui est venue te chercher ! expliqua patiemment Cléia.
Pendant notre conversation, d’autres fées s’étaient approchées et formaient à présent un cercle autour de nous. Il y en avait de toutes les couleurs, une pour chaque fleur : marguerite, coquelicot, pois de senteur et l’air embaumait de doux parfums. Tout à coup, et à ma grande confusion, mon ventre se mit à gargouiller d’une façon peu polie. Je sentis le rouge me monter aux joues. Les petites fées, loin d’être choquées, disparurent toutes dans la même direction, dans une vive lumière de feu follet. Elles revinrent bien vite portant à grand peine un grand pan de tissu. Arrivées près de moi, elles entreprirent de déplier le tissu qui s’avéra être une immense nappe qu’elles disposèrent par terre. Et une fois posée sur le sol, la nappe se couvrit de toutes sortes de plats et de boissons : du pain, de la crème, des fruits, de l’eau, et d’autres mets que je ne connaissais pas. Les petites fées, devant ma mine étonnée, m’expliquèrent :
- Il s’agit d’une nappe… - … magique et à chaque fois… - … que tu la déplies, … - … elle se charge de nourriture… - … et de boissons… - …à volonté… - Nous sommes désolées de ne pas avoir pensé à te proposer à manger avant mais il est rare que nous recevions de la visite et nous en avons oublié la bienséance. Régale-toi !
Les fées parlaient ainsi, les unes terminant les phrases des autres, comme si elles partageaient les mêmes sentiments, une pensée si profonde qu’en temps ordinaire, elles n’avaient pas à parler pour se comprendre. Je les invitai à partager ce très généreux repas mais elles refusèrent toute la nourriture qui se trouvait sur la nappe. Quelques-unes voletèrent un peu plus loin et revinrent les bras chargés de fruits, de baies, de racines minuscules, des petites fleurs dans le cœur desquelles elles avaient récolté des nectars très sucrés. Elles s’installèrent sur un coin de la nappe et dégustèrent leur repas en me posant mille questions, auxquelles je ne savais pas répondre deux fois sur trois ! Mais cela ne les décourageait pas le moins du monde, absorbées par leur babillage. Cléia, quant à elle, était allée chercher quelques baies sur le coin de nappe occupé par ses sœurs et, tout à fait en confiance, était venue se poser sur mon épaule. Je me tenais silencieux, étourdi par tant de douceur, sans me soucier de cette fameuse Dame qu’il me faudrait rencontrer d’ici peu. Pour l’heure, je profitais de cette bulle paisible, dans laquelle fusaient rires sonores, petites voix enjouées et où papillonnaient ça et là, de petites corolles colorées. Ce fut vraiment une nuit étrange et je savais bien qu’elle n’était pas encore tout à fait achevée.
Voulez-vous rester à la maison pour la nuit ? Il se fait tard et il est hors de question que je vous laisse partir dans l’obscurité. Je vais vous préparer de bonnes couches bien douillettes, une tasse de lait chaud au miel et à la cannelle et je vous raconterai la suite de cette fantastique nuit lorsque vous vous serez un peu reposés. Bonne nuit !
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