Je pensais me réveiller épuisé. La nuit avait été mouvementée et il ne me semblait pas avoir dormi très longtemps. Pourtant, quand je me réveillai, je me sentais en parfaite forme. J’ouvris les yeux doucement, profitant des rayons du soleil qui arrivaient à darder sous la voûte végétale, alangui par la douce chaleur. Mes mains griffées ne me faisaient plus mal et je goûtais voluptueusement à ces premières minutes de paix qui précèdent le lever. - Eh bien, gros paresseux, c’est à cette heure-ci que l’on se réveille ? Le soleil s’est levé depuis longtemps ! Qu’attends-tu ? Lève-toi ! Nous avons une longue marche à faire et nous ne pouvons pas nous mettre en retard ! Allez, debout, debout, debout !!
Je soupirai longuement et cherchai du regard à qui appartenait cette petite voix de cristal. Je dois avouer que j’avais déjà une petite idée… A un pied de moi, assise au cœur d’une pâquerette, les jambes dans le vide, Cléia se balançait, son regard de cuivre doré fixé sur moi.
- Cléia ? marmonnais-je dans ma barbe. - Oui ? me répondit-elle, charmeuse. - Aurais-tu l’obligeance de cesser de commencer toutes tes phrases à mon intention par « gros nigaud, gros bêta » ou encore « gros malin » ? Je serais ton obligé, tu sais ? Elle éclata de son rire si mignon : - Mais, petit lutin susceptible, si je te donne de petits noms affectueux, c’est que je t’aime bien… - Alors, essaie de… oh, et puis, laisse, je m’en accommoderais bien…
Je me redressai sur mon séant et portai un regard médusé sur la clairière. Ce qu’elle était belle ! Je vis tout d’abord que, malgré les remontrances que Cléia venait de me faire, la Dame faisait elle aussi la grasse matinée, puisque les rideaux de branches de sa petite alcôve étaient toujours baissés. Je levai les yeux et vis que le soleil venait tout juste de se lever, et je lançai un regard agacé à Cléia qui, à présent, récoltait des étamines dans son petit panier. La clairière avait pris de splendides couleurs irisées et des traits de lumière perçaient entre les branches ça et là. La végétation, luxuriante, était d’un vert tendre, éclatant, irréel. Tout était d’un calme olympien et incitait à la méditation. Si je l’avais pu, je n’aurais jamais quitté ce havre de paix.
Je fus surpris, en enfonçant mon bonnet sur ma tête, de constater que mes habits tout déchirés ne l’étaient plus. Je les examinai de plus près et je vis de très fines et de très régulières coutures, si fines qu’elles en étaient presque invisibles. Je remarquai aussi que les griffures sur mes mains avaient quasiment disparu et comme je m’en étonnais, je croisai le regard de Cléia qui m’observait sans en avoir l’air. Elle rougit et voleta plus loin, feignant d’aller réveiller ses sœurs. Je souris. Alors Cléia avait passé une partie de la nuit à ravauder mes vêtements et à soigner mes plaies ? Et apparemment, ma fée-jonquille n’avait aucune envie d’épiloguer sur ce sujet. Je fus si attendri que mon cœur cogna un peu plus fort dans ma poitrine. Je respectai donc son désir tout en me promettant que je saurais bien la remercier.
Je profitai à nouveau de la généreuse nappe magique sur laquelle avaient apparu du pain encore chaud, du beurre, des confitures exquises et tout un tas d’autres délices. Lorsque mon petit déjeuner toucha à sa fin, j’entendis comme un murmure. Tout d’abord, un essaim de petites fées-fleurs s’éleva dans les airs puis le berceau végétal s’ouvrit et les quatre arbres reprirent leur poste de jour. La Dame des Bois s’étira lascivement et se leva. La voir ainsi en plein jour, c’était retenir le monde des rêves encore un instant. Je me levai pour aller à sa rencontre et elle me tendit sa main que je portai à mes lèvres, dressé sur la pointe des pieds.
- T’es-tu bien reposé, jeune lutin ? - Oui, ma Dame. - Alors, il va falloir te mettre en route. - Y suis-je vraiment contraint ? - Je le crains. Ta place n’est pas ici. Par ailleurs, je te confie aux bons soins de Cléia qui paraît t’apprécier beaucoup… Elle tendit sa main et la petite fée-jonquille vint se poser délicatement. - Ainsi, Cléia, ma sœur, tu as décidé de nous quitter ? La petite fée dorée baissait la tête, regardant obstinément ses chaussures. - N’oublie surtout pas ta propre mission, Cléia et rappelle-toi toujours que ton peuple est incomplet sans toi. La petite fée redressa vivement la tête et comprit alors que sa reine la laissait partir. Elle battit des ailes frénétiquement et fit mille grâces à la Dame en la remerciant. - Lullaby, Cléia a choisi de t’accompagner mais aussi de rester à tes côtés aussi longtemps que son absence ne nous attristera pas trop. Prends soin d’elle et sache que c’est un bien grand sacrifice, pour une fée des bois, de quitter les siens. Je ne savais pas quoi répondre et hochai la tête en silence. J’étais bien heureux de ne pas faire le chemin seul mais j’étais encore plus heureux de m’être fait une amie. - A présent, allez ! Les esprits sylvestres vous protègeront tout le temps que vous serez à l’abri de leur forêt mais à l’orée de la forêt, il vous faudra continuer seuls, sans protection, jusqu’à la chaumière du bon Maître Pipenbois. Sois attentif, apprends à être un bon lutin, Lullaby et tu feras le bonheur de nombreuses personnes. - Puis-je me permettre une dernière question ? demandai-je à mi-voix ? Elle hocha de la tête. - Puis-je connaître le nom que l’on vous donne ? Je pourrais alors penser à vous plus fort et vous parler… - On m’appelle Lélia, l’esprit de la nature. Si tu m’appelles, sois certain que je t’entendrais où que tu te trouves… A ces mots, la grande Dame devint luminescente, puis translucide, et à la place où une noble fée se tenait quelques secondes auparavant, je revis le fabuleux petit papillon rouge et or. Il battit des ailes, vola vers moi, frôla ma joue et disparut. La Dame était partie. - On y va, gros rêveur ? Cléia venait de me sortir de ma torpeur, courtoisement, comme à son habitude, j’allais vite en faire le constat. Cela me révolta qu’elle ne me laisse même pas une minute pour accepter que je venais de dire adieu à ma mère, en quelque sorte, et je cherchai quelque chose à dire qui l’énerve pour lui rendre un peu la monnaie de sa pièce. - Très bien, on y va, Luciole ! Je n’en espérais pas tant ! Elle fit volte-face, se plaça à deux pouces de mon nez, les bras croisés, le regard dur, vraisemblablement très fâchée. - Je-ne-suis-pas-un-insecte ! - Si tu ne veux pas que je t’appelle ainsi, et bien alors, cesse de me donner de petits noms stupides ! - C’est par là, me dit-elle abruptement, en tendant son doigt dans une direction. Je souris de la voir si contrariée, assez content d’avoir trouvé une petite faiblesse chez la fée des bois et la suivis en silence.
Vous partez déjà ? Oui, il est vrai que je vous ai encore gardés tard ce soir, je n’ai pas vu le temps passer… A bientôt, peut-être ?
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