Il y a un autre courant que Zhuang Zi et qui partage les mêmes affinités et qui sont les Chuci les « Elégies du royaume de Chu ». Ces Elégies, ensemble de poème du IIIe et IIe siècles av. J.C. sont le produit d’une veine « chamaniste » du sud de la Chine et qui possédait une culture autonome. Elle est une forme de religion différente de la Chine du Nord. Il n’y a pas de souverain, ni de chef de famille comme dans la religion officielle, mais un prêtre en relation avec une divinité avec laquelle il entretient des rapports de hiérogamie et avec une connotation amoureuse. Elles pourraient être la trace de la tradition des Wu, terme que l’on traduit dans l’à-peu-près par Chaman ou sorcier. Les Wu loin de la religion des cultes officiels avaient cependant leurs représentant dans le clergé de la cour. D’après le Zhou li (qui est censé décrire le rituel de la dynastie des Zhou), ces prêtes ou prêtresses le plus souvent) étaient chargés de « sacrifier aux esprits éloignés » qu’ils faisaient venir, à qui ils donnaient des noms, ils faisaient venir la pluie par des danses. Il se rendaient invisibles et utilisaient des plantes médicinales, des charmes et des formules imprécatoires ; les Zhu qui ont donné leur nom aux invocations taoïstes. Beaucoup de pratiques taoïstes s’inscrivent dans la ligne de cette tradition, mais le taoïsme se démarque ouvertement d’elle.
Les traces du lien de cet ensemble de textes entretient avec le taoïsme sont multiples et souvent étonnamment précises. Exemples : des noms d’immortels comme Chisong Zi ou Wang Qio qui font partie du patrimoine des saints légendaires du taoïsme, ainsi que des allusions à des pratiques caractéristiques du taoïsme postérieur : apparitions de divinités : randonnées mystiques de l’âme en des pays lointains et mythiques qui rappellent celles de Zhuang Zi et de Lie Zi, ou en des contrées célestes (dans le Yaunyou) où loin de la poussière de ce monde, le poète ne voit plus rien, ni le ciel en haut, ni la terre en bas, notation que l’on retrouve exactement dans les textes de Sahngqing, le courant qui a été le plus marqué par la tradition des Chuci, nourritures d’effluves cosmiques, dont nous avons vu que Zhuang Zi y faisait allusion aussi, et qui portent des noms qui sont les mêmes que dans certains textes taoïstes. Le nom de la prêtresses possédées par le dieu Lingao est un terme qui a pris comme nous le verrons, une importance énorme assez tôt dans le taoïsme.
Le thème de la randonnée mystique extatique qui appartient aussi bien aux Chuci qu’au Zhuang Zi a joué un rôle majeur dans la tradition chinoise sous l’égide du taoïsme. On le retrouve en poésie, où il constitue un genre à lui tout seul, et dans toutes les méditations visuelles du type Shangqing qui sont présentes à peu près partout dans les pratiques taoïstes, aussi bien dans la médiation solitaire que dans la liturgie.
Prochain sujet : les Fangshi – les Guanzi – et bibliographie pour le deux premiers chapitres
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