Et nous sommes partis. Luciole, en tête, m’indiquait le chemin et je suivais derrière, beaucoup moins preste que la fée, tant bien que mal. J’avais pensé que Cléia me ferait la conversation, et que j’aurais tôt fait d’être ivre de ses paroles. Mais c’était bien loin d’être le cas. La fée ne se préoccupait guère de moi et suivait le chemin qu’elle avait choisi dans un silence absolu. Parfois, elle s’arrêtait si loin de moi que je n’apercevais que le halo doré dans lequel elle baignait et je devinais qu’elle cueillait – ou plantait – des graines, ou de petites racines. De fait, elle était si occupée par sa tâche qu’elle demeurait imperturbable. Je dois avouer que cela m’arrangeait. Je ressentais un trouble éloquent, une mélancolie folle d’avoir quitté la poche rassurante de la clairière aux fées. Dans ma tête, défilaient de belles images tellement vivaces que j’en aurais presque humé les doux parfums. Nous marchâmes ainsi, sans encombre, dans une solitude déconcertante. Cléia connaissait la forêt sur le bout des doigts et j’admirais la facilité avec laquelle elle choisissait de passer à gauche de cet énorme buisson piquant plutôt qu’à droite alors que rien ne laissait penser qu’il aurait pu y avoir un petit sentier à suivre. C’était très fatiguant car, si ma luciole zigzaguait légèrement entre les branches, je passais mon temps à les écarter, à les recevoir en plein visage, tout en m’efforçant de ne pas la perdre de vue. Cléia fut sans pitié. Nous ne nous arrêtâmes pas une seule fois tant que quelques lueurs nous permirent encore d’avancer. C’est au crépuscule que nous fîmes halte au milieu de rien. Je m’effondrai sur le sol, éreinté, alors que ma petite fée s’installait élégamment sur une branche basse, aussi fraîche qu’un matin encore humide de rosée.
- C’est bien peu résistant, un lutin ! me lança-t-elle. J’étais d’humeur grincheuse et je m’abstins tout simplement de répondre. Je sortis de ma besace la gourde et en but une bonne gorgée. Etrangement, elle était aussi glacée que si je venais de plonger ma bouteille dans une rivière. Je bus longuement mais quand je vis le regard que me lançait Cléia, je m’excusai et lui proposai immédiatement un peu d’eau. - Non, merci, dit-elle, pincée. Elle me tourna le dos, cueillit une de ces petites fleurs bleues qui jonchaient le sol et porta cette coupe végétale à ses lèvres. Comme j’enfonçais ma main une nouvelle fois dans ma besace pour y prendre les quelques vivres que les fées m’avaient donnés, Cléia arrêta mon geste. - Nous en aurons bien besoin pour la suite de notre voyage. Allume un feu et je me charge de rapporter de quoi nous nourrir.
Elle partit à tire d’aile et fit plusieurs allers et retours pour ramener des baies fraîches, des champignons, quelques racines qui constituèrent un excellent repas. Je m’adossai à un tronc d’arbre et observai Cléia qui fouinait partout à la recherche d’une couche convenable pour la nuit. Pendant ce temps, je ramassai des tiges souples sur une sorte de saule et entrepris de les tresser pour en faire un petit panier. Mes doigts, engourdis au début, devinrent habiles et je me surpris même à orner ma fabrication de tresses plus compliquées. Je savais faire cela aussi… Avez-vous déjà vu les nids que construisent les mésanges ? Ils ressemblent à de petits paniers fermés avec un trou sur le devant par lequel les oiseaux entrent et sortent. Mon panier avait un peu cette forme-là. Je lui avais fait une ouverture un peu plus grande et une anse pour le suspendre aux branches. Une fois le panier terminé, je tissais un disque d’herbe que j’attachais sur un côté de l’orifice. J’appelais alors ma fée-jonquille qui était en train d’étaler devant elle le contenu de son panier. - Regarde ce que j’ai fabriqué pour toi… - Cela ne te suffisait pas de me traiter d’insecte, maintenant, tu me prends pour un oiseau ! dit-elle, très fâchée. - Voyons, Cléia… Nous allons quitter la forêt d’ici peu et tu ne pourras plus dormir dans les arbres ou à l’abri dans des boutons de fleurs. Et puis, il risque de faire froid. J’ai pensé que… - Tu as mal pensé, me coupa-t-elle. Je peux dormir partout ! Je ne suis pas aussi fragile que tu le penses ! - Je ne dis pas que tu es fragile, allons… Je voulais juste te faire un cadeau. Tu es sûre de ne pas en vouloir ? - Oui. Merci quand même. A présent, il nous faut nous reposer. Il s’agira peut-être de la dernière nuit que nous passerons en sécurité avant d’avoir rejoint Maître Pipenbois. Demain matin, nous franchirons la lisière de la forêt et alors, les esprits des bois ne nous seront plus d’aucun secours. A ce moment-là, nous devrons être plus vigilants. Ce qu’elle pouvait être entêtée ! Et bien, tant pis si elle ne voulait pas de mon présent. Après tout, cela la regardait… Mais cette histoire de menaces au dessus de nos têtes me turlupinait. - … Cléia… ? - Hum… - Pourquoi veux-tu donc que l’on nous veuille du mal ? - Nous sommes des êtres bénéfiques, nous n’avons d’autre but que de protéger. Mais ce n’est pas le cas de tous les peuples et je crains que l’on n’entrave notre route. - Quels sont les peuples qui nous voudraient du mal ? - Ils sont trop nombreux pour les nommer et puis cela ne sert à rien de s’inquiéter avant que le danger ne soit sur nous. - Je ne suis pas d’accord, je veux savoir à quelle sauce je serais mangé. - Des oiseaux de feu, des ombres, des démons de toutes sortes en sont quelques-uns. Mais par pitié, cesse tes bavardages. Il nous faut reprendre des forces si nous voulons arriver demain chez Pipenbois avant la nuit noire.
Je passai la nuit à cauchemarder. Cléia avait raison, je n’aurais pas dû me montrer si curieux. Chaque craquement de la forêt, chaque ombre furtive me faisait sursauter. Décidément, j’avais beaucoup à apprendre de cette petite fée-jonquille.
Au milieu de la nuit, des bruissements me réveillèrent tout à fait de mon sommeil mouvementé. Je ne bougeai pas mais ouvris les yeux. Ce que je vis me fit sourire. Ma petite fée avait dû avoir froid, couchée a l’abri d’un gros champignon. Furtivement, elle s’approcha, indécise, de mon petit panier, regardant souvent de mon côté pour voir si je l’observais. Bien sûr, vif, je fermai les yeux et, sans doute aidé par la pénombre, elle ne s’aperçut pas que je l’épiais. Elle fit le « tour du propriétaire » et esquissa un petit sourire. Elle se pencha pour examiner l’intérieur et tira le mouchoir vert, comme mon bonnet, que j’avais disposé au fond du nid pour qu’il fasse office de matelas et de drap. Elle me jeta un regard affectueux et entra pour la première fois dans le petit nid qui se balança tout doucement. Le portillon se referma, ce qui donna un air de petite lanterne japonaise au nid de Cléia, illuminé par sa lumière. J’avais compris que plus la lumière était vive, plus les fées des bois étaient joyeuses. La petite lueur était rouge-orangé puis, petit à petit, s’éteignit. Je retins mon envie de rire – quelle orgueilleuse ! – et m’assoupis, heureux.
Lundi prochain, je vous raconterai la chute périlleuse que j'ai faite, en continuant ma route! A bientôt!
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