Cela aurait pu être pire. Nous aurions pu traverser cette plaine déserte en plein mois d’août. Nous aurions frit tant la chaleur aurait été accablante. Mais nous étions au tout début du mois de novembre et bien entendu, l’hiver était précoce. Je le répète, cela aurait pu être pire, il aurait pu neiger à gros flocons par exemple. Mais ce n’était pas le cas. Alors, que la température ait baissé très vite et que nous soyons obligés d’avancer contre le vent glacial qui s’insinuait entre les fibres de nos vêtements, c’était un moindre mal, n’est-ce pas ?
Cléia ne partageait pas du tout mon avis. Elle n’avait jamais connu d’hiver dans la forêt des fées. Le plus gros froid qu’elle avait connu aurait équivalu, dans votre coin de pays, au prémices de l’automne. Vous imaginez donc sa surprise. Elle grelottait littéralement dans sa petite tenue légère, blottie sous le col de ma veste jusqu’à ce que je lui recommande tout bonnement d’aller s’abriter dans son nid, ce qu’elle ne se fit pas répéter deux fois ! Elle laissait cependant le portillon de sa chambrette entrouvert pour que je me sente moins seul et pour m’indiquer la route.
Parlons-en, justement, de cette route à prendre. Il fallait se diriger vers une fissure entre deux des montagnes que je voyais à l’horizon, un défilé, paraissait-il, qui nous conduirait plus vite de l’autre côté. Très avenant, comme destination, ne trouvez-vous pas ? J’avais beau marcher aussi vite que me le permettaient mes jambes endolories, les montagnes ne semblaient jamais se rapprocher de nous. Le soleil était haut dans le ciel, quoique voilé et d’une pâleur lunaire et égrainait impitoyable, les heures de jour. Avez-vous déjà emprunté une route bien droite ? On a toujours la curieuse impression de ne pas avancer. Vous pourrez alors concevoir ce que nous ressentions. Du coin de l’œil, parfois, je croyais voir des formes se mouvoir mais quand je tournais la tête, je ne voyais rien que du sable pâle et quelques rochers. C’était pourtant bizarre car j’aurais juré que nous étions suivis. Je gardai pour moi mes conjectures, me disant que j’étais en train de devenir paranoïaque. Pourtant, mon doute ne fit que croître et je finis par appeler doucement ma petite fée sans interrompre ma marche. - Cléia… Je n’eus pas de réponse. Je me rendis compte que cela faisait une bonne heure que je ne l’avais pas entendue. - Cléia ? Ce nouveau silence m’inquiéta et je baissai les yeux pour observer la petite boule d’osier tressé. Je souris tout d’abord : pas de lueur dorée, cette petite marmotte devait encore dormir ! Ce devait être agréable de faire le voyage de cette manière. Je secouai alors légèrement la nacelle pour la réveiller mais cela n’eut pas le moindre effet. Mon sourire s’évanouit et je m’arrêtai. Je décrochai la petite boîte et ouvris en grand le portillon que le vent avait refermé pour jeter un œil à l’intérieur. Je fus effondré : Cléia était bien à l’intérieur, couchée, mais elle ne dormait pas. Elle n’irradiait plus de sa lueur dorée et ses ailes avaient perdu leur éclat. Ma fée-jonquille tremblait de tous ses membres, pâle et dolente. Je la trouvai gisant sur son matelas de fortune, enroulée dans sa petite couverture pliée en deux. - Cléia, qu’est-ce qui ne va pas ?… Et bien, on ne me trouve pas de petits noms moqueurs aujourd’hui ? Rien n’y faisait. Son regard croisa le mien et j’y lus tant de détresse et de confiance que cela me bouleversa. - As-tu attrapé froid, Luciole ? Je ne savais pas que faire. J’étais à présent trop loin de la forêt pour la ramener à la Dame des Bois. Je tournai la tête et vis la masse vert sombre. Ah, si encore je m’étais rappelé de toutes mes connaissances ! J’aurais su ce que ma petite fée avait, j’aurais pu lui administrer les bonnes plantes, j’aurais su quoi faire ! Je me fustigeais mais je pris conscience que cela ne servait à rien et que cela me faisait perdre un temps qui était peut-être précieux. - Allons, Lullaby, ressaisis-toi. Tu es un être de la forêt, tu dois savoir quoi faire. Réfléchis, réfléchis, ré – flé – chis ! Il faut prendre une décision ! Je me sentais tellement seul. Une pensée alla vers Lélia, l’esprit de la nature, et je crus que le vent avait faibli. Je haussai les épaules, c’était le fruit de mon imagination. Je posai mon bâton à terre et m’agenouillai sur la terre glacée, battue par les bourrasques, et je posai délicatement la nacelle sur mon sac. Puis je passai un doigt par l’entrée de la petite maison et touchai le front de Cléia : elle était brûlante, il n’y avait qu’à la regarder pour savoir qu’elle avait de la fièvre. Je déchirai la doublure de ma poche et en arrachai un tout petit morceau que je pliai en deux. Je sortis ensuite ma gourde et imbibai le bout de tissu d’un peu d’eau. Puis, tant bien que mal, l’étoffe coincée entre deux doigts, je m’efforçai de le poser sur le front de la fée. J’aurais pu la faire sortir de son cocon, me direz-vous. Oui, mais ses ailes étaient aussi fragiles que celles d’un papillon, j’aurais pu lui faire du mal. Et puis, elle était au moins à l’abri du vent là où elle était.
Et oui, le sort semble parfois s'acharner. Mais croyez-moi, je sais que lorsqu'on est certain d'être au fond du trou, un lueur vient toujours nous éclairer. Bon je vous raconterais ça la prochaine fois. A présent, il me faut biner mon jardin...
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