Je me suis amusée à regrouper toutes les histoires que l'on raconte autour de l'église de ma ville.

L’église Notre-Dame :

C’est un bâtiment gris, alourdi de sa froideur architecturale. Plutôt bas et trapu bien campé dans son austérité. C’est l’église d’une petite ville de campagne normande. Ses cloches ne sonnent plus. C’est une église délaissée, figée dans des temps anthracite, que la pluie s’efforce de dissoudre et le vent d’ébranler.
En vain.
La petite église, dépourvue de toute originalité et de tout artifice, demeurera siècle après siècle, jusqu’à ce que la mer ait totalement dévoré la côte de sa folie carnassière.
Elle pointe vers le ciel une tour massive , triste mât sans voile, grossièrement ajourée et coiffée de tuiles bleues et luisantes comme des poissons morts séchant au soleil. Les toits de sa nef sont d’un noir abyssal et des méandres d’algues pierreuses parcourent son portail rocheux.

Il y a quelques centaines d’années, elle était noyée dans une lande épaisse, végétation basse et épineuse, qui inondait alors toute la campagne environnante. On l’appelait Lande Saint-Maur ou bien encore Lande des Morts, ces deux noms se faisant funèbrement écho.
C’est que tous deux sont des héritages de la mer, cette eau ivre de rosée et de larmes mêlées, à la fois mère nourricière et marâtre cruelle.

Il y a de cela si longtemps que l’on ne peut plus le dater, la mer vint à déposer sur le sable la statue d’un saint homme, qu’on reconnut comme étant Saint Maur. On l’installa sur une charrette tirée par un âne. Il était convenu que là où l’attelage s’arrêterait, on construirait une chapelle pour abriter la statue miraculeuse. L’âne s’enfonça au plus profond de la lande puis s’immobilisa. On se mit alors à l’ouvrage et la petite chapelle fut érigée, îlot désespéré au milieu de cet océan d’ajoncs et de bruyères.
Mais hélas, le temps finit par l’éroder. Autrefois fillette joufflue et rondouillarde, elle est aujourd’hui squelette émacié et poussiéreux, exhibant le désordre lamentable de ses os de pierres.
La statue de Saint-Maur survécut à son second naufrage, et trouva un autre logis en l’église Notre-Dame où elle veille toujours.

C’est ainsi que naquit le nom de Lande Saint-Maur, dans l’euphorie du miracle et de l’inexpliqué. L’enfantement du nom de Lande des Morts fut hélas beaucoup plus douloureux.
En 1616, la mer cracha sur ses côtes des corsaires aux rapières cramoisies. La lande s’empourpra du sang de deux de ses enfants et s‘endeuilla de ce surnom sinistre. On érigea en leur mémoire deux croix de pierre devant l’église Notre-Dame. Ces deux sentinelles rocheuses et anonymes veillent sur la bâtisse et son petite cimetière qui ballotte des tombes usées, flotte fantomatique d’épaves revenues d’exil.

La nef cache par-devers elle les effigies et les armoiries des anciens seigneurs de ces lieux. Ils contemplent de leur regard pétrifié l’autel devant lequel ils commirent l’erreur de marier l’une des leurs. Le 28 juillet 1600, Marguerite, jeune fille de treize ans et à la beauté solaire y prit pour époux un hobereau sombre et grisâtre. Le destin et la tragédie s’en mêlèrent, et la gracieuse Marguerite se noya dans son propre sang trois ans plus tard.
Les dalles émoussées par le flux et le reflux continuel des fidèles ont fini par oublier les noms de ceux qui reposent en dessous d’elles. Sans doute ces seigneurs de funeste mémoire.

Peut-être par écho à ces multiples drames, les cloches de Notre-Dame dissonèrent pendant plus de cent cinquante ans. Enterrement, baptême ou mariage, processions, fêtes et deuils, étaient accompagnés de cette même singulière cacophonie de bronze ébréché. Jour et nuit, les cloches, vieilles divas éraillées, égrenaient des heures détraquées en secouant leurs grosses têtes difformes.
Puis, las de leurs rires désaccordés et de leurs pleurs brisés, on se décida à les changer après plus d’un siècle d’extravagance métallique.

A quoi bon ? Aujourd’hui elles ne sonnent guère plus. Plus personne ne regarde la petite église grise et épaisse, ramassée sur elle-même comme un gros insecte estropié.
La lande autour d’elle s’est retirée, un jour de grande marée. Aujourd’hui elle finit de se faire assécher par un absurde réseau de routes enragées.


Bouillonne la terre labourée par des ossements sans nom, des fondations sans toits, et des chemins sans but.
Souffle l’haleine des dragons vikings sur la lande morte dans son linceul de légendes.
Pleuve le sang céruléens des limules sur le noir fossile de l’église pétrifiée.
Brûle en nos cœurs le vivant souvenir de ceux qui nous ont précédés et dont nous devons entretenir la flamme, aussi sombre qu’en soit la lumière.

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