Etrangement, je dormis d’un sommeil de plomb, cette nuit-là. Je fis juste un rêve étrange dans lequel je fuyais droit devant moi, poursuivi par un géant. Il avait fini par m’attraper et me chatouillait le nez avec le bout du poireau qu’il était en train de couper au dessus de la marmite dans laquelle il m’avait placé. C’est donc en sursaut que je me réveillai, persuadé qu’un géant hideux et puant essayait de m’accommoder pour son repas !
En fait, c’était Cléia qui tentait discrètement de me réveiller. Elle grattait du bout de ses doigts mon nez. Je grognais un peu, pour la forme, mais bien content qu’elle m’ait sorti de ce cauchemar ! Encore pris par les brumes du sommeil, je m’aperçus tout de même que Cléia avait un petit visage pâle et froissé. Sans mot dire, elle me désigna un point un peu plus loin. Je me frottai les yeux, et vis Baltyr, assis en tailleur. Je me demandai tout d’abord ce qu’il pouvait bien faire, à l’aube, au beau milieu d’un cercle de pierres. Puis j’entendis qu’il psalmodiait des paroles, des mots étranges que je ne comprenais pas. Je compris les craintes de Cléia car je dois avouer que c’était bien loin d’être rassurant : Les paroles qu’il prononçait formaient une litanie sombre, grave, lourde, dont chaque mot tombait comme une grosse pierre sur le cœur. Cela aurait très bien pu être des menaces, tant le timbre de la voix de Baltyr était violent.
Sans me lever, couché à terre, je me déplaçai pour voir ce qui attirait toute l’attention de Baltyr. C’était une statuette de terre noire, grossièrement modelée. Ce n’était pas un bel objet, et un frisson me parcourut l’échine. Cléia, silencieuse comme jamais, restait interdite. Tout à coup, la lumière de l’aube sembla se tarir tout autour de Baltyr, et il fut entouré d’une sphère noire et opaque, dont l’air glacé venait jusqu’à nous. Puis l’obscurité fut comme absorbée par le corps de Baltyr et tout redevint comme avant. C’était terrifiant. Mon cœur cognait si fort que j’avais peur qu’il ne l’entende et se retourne vers moi, les yeux rouges et maléfiques. Mais non. Je le vis prendre son idole, l’honorer d’une inclinaison de la tête, la poser délicatement dans une enveloppe de cuir qu’il roula sur elle-même, noua, et fourra entre sa chemise et sa peau. Je n’eus pas le temps de dire à Cléia de se taire et de ne pas aborder le sujet tant que l’on n’en savait pas plus sur Baltyr. Il était à mon sens plus sage d’attendre et plus facile d’espionner quelqu’un qui ne se doutait de rien plutôt que le contraire. Mais déjà, Cléia, courageuse et pleine de colère, se jeta vers lui plutôt qu’elle ne vola, se planta à un pied de sa tête et, les poings sur les hanches, le regarda fixement. Je soupirai en levant les yeux au ciel. Il allait vraiment falloir que je tempère ma petite fée-jonquille avant qu’un malheur ne lui arrive, par excès de courage… ou d’inconscience !
Baltyr avait vraiment un réel talent de comédien. Il regardait Cléia avec un air surpris et naïf, tout ce qu’il fallait pour lui donner le bon Svarog sans confession ! Cléia le fixa longuement puis, pleine de mépris et de colère, elle se retourna et revint vers moi, avant de se poser sur mon épaule. Baltyr haussa les épaules, souriant et s’approchant du feu. - Bonjour mes amis ! Voulez-vous une tasse de thé ? J’ai surveillé le feu toute la nuit pour qu’il ne s’éteigne pas et que vous n’ayez pas froid ! Comment allez-vous ? Avez-vous bien dormi ? Il ne fait pas trop froid aujourd’hui ! La route sera agréable ! Ce flot de paroles me mettait mal à l’aise. Mais je réprimai mon envie de connaître le secret de Baltyr et me montrai courtois. - Je te remercie, Baltyr, nous prendrons volontiers une tasse de thé. Il me reste un peu de pain, en veux-tu un morceau ? Cléia me foudroya du regard, sans comprendre. Je lui souris et lui tendis gentiment un minuscule morceau de pain trempé dans mon thé. Je lui fis un clin d’œil confiant parce que je voulais de tout mon cœur la rassurer ! Elle me sourit en retour et s’installa plus confortablement pour prendre son petit déjeuner. - J’ai interrogé les esprits sur le déroulement de notre voyage. J’ai demandé l’aide et la protection des esprits bons qui se trouvent dans cette région. Je suis certain que tout se passera bien maintenant. Ainsi, Baltyr expliquait ce qu’il craignait que l’on ait vu. Cela ne réussit pas à me convaincre car ce à quoi nous venions d’assister ne ressemblait en aucune façon aux manières des esprits bons. Mais je lui fis une sourire aimable : - Que c’est gentil de ta part… - Oh, ce n’est rien ! L’esprit de la nuit qui m’a donné vie m’a offert une statuette avant de me quitter. Il m’a recommandé de m’en servir si j’avais besoin d’aide ou de protection. Alors, je n’ai pas de mérite à suivre les conseils de mon père.
Vous allez me dire que cela se tenait et que cela aurait pu être la vérité. Mais quelque chose dans le regard de Baltyr, dans ses gestes, dans son attitude me disait le contraire. Peut-être que ma boule à rêves pourrait m’en dire davantage mais je n’avais aucun désir que Baltyr en connaisse l’existence, il me faudrait donc attendre qu’il dorme la nuit prochaine, pour la sortir de son étui…
Nous nous remîmes en route tous ensemble. Il nous fallait nous rendre vers l’arbre aux corbeaux. Je ne pensais pas que ce tronçon de chemin puisse nous être dangereux. Nous avançâmes donc d’un bon pas. Il nous fallait arriver au pied de l’arbre le soir même.
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