Sur quelques questions de métaphysique Avez-vous remarqué le petit tournevis du philosophe ? C’est à cet outil qu’on le reconnaît. Chaque philosophe a le sien, pour dévisser, démonter, remonter l’immense mécanique. Les charlatans font croire que c’est facile, comme si l’objet était un fer à repasser ou un réveille-matin. La plupart ne cache pas qu’ils s’attaquent à une centrale nucléaire sans en avoir le plan. C’est pour cela qu’ils sont obscurs et arrogants, par peur et par timidité, par une sorte d’inversion défensive de la modestie. Toujours ils gardent l’espoir que leurs coups de tournevis atteindront, ne serait-ce que par hasard, une pièce maîtresse du grand engin. Ce n’est pas sans risque. Certains se suicident ou deviennent fous, accident professionnel, ce sont des choses qui arrivent. Sur certains traits des hommes et du pouvoir Avez-vous remarqué les gesticulations des hommes quand ils essaient un nouveau costume ou une nouvelle veste ? Ils produisent soudain les gestes les plus étonnants. Vous avez cet homme tranquille qui choisit comme tous les cinq ans un costume gris. À peine sorti de la cabine d’essayage, devant le miroir, il lève les bras au-dessus de la tête, les lance en avant, se plie en deux, fléchit les genoux, s’accroupit presque. Pendant toute cette gymnastique il garde un air grave et attentif. Le vendeur qui en a vu d’autres se tait, il sait qu’il ne faut pas troubler cet examen. À la fin seulement il pourra avancer un commentaire rassurant : n’est-ce pas que c’est confortable, la coupe est impeccable et ça tombe très bien. Il ne dit rien le vendeur, mais il sait que jamais, au bureau, dans cette entreprise pour laquelle le client renouvelle ainsi sa garde-robe, jamais cet homme ne se permettra des gestes aussi amples, et aussi libres.
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