Cléia avait changé depuis que Baltyr partageait notre route. Je la trouvais plus distante, plus froide et profondément inquiète. Je ne l’interrogeais pas. Je savais que tôt ou tard, elle se confierait à moi, le jour où elle saurait que j’étais digne de ses confidences. La présence de Baltyr m’avait en ce sens servi que ma fée-jonquille me percevait comme un protecteur. Elle ne quittait plus mon entourage qu’avec la certitude qu’elle ne me perdrait pas de vue. Alors que nous marchions d’un bon pas, guidés par Baltyr qui avançait devant nous, Cléia poussa un long soupir. - Tu es fatiguée, ma luciole ? - Non… ce n’est pas ça… Elle marqua un temps pendant lequel son regard erra sur les rochers alentours. C’est juste que je ne sais pas si Baba-Yaga pourra m’aider. Prendre tous ces risques sans savoir si cela m’apportera des réponses à mes questions… Baltyr marchait toujours d’un pas pressé, sans se retourner. Je le suivais, en silence. - Et je ne sais toujours pas ce qu’il est advenu de ma sœur… - Lanterne ? murmurai-je. - Oui. C’est un surnom. En fait, elle s’appelle Elea. Mais elle aimait confectionner de petites lanternes avec des feuilles qu’elle cousait et dans lesquelles elle logeait des vers luisants pour nos fêtes. Ils nous offraient leur lumière jusqu’à ce qu’ils se soient ouvert un chemin en dévorant leur prison de feuilles. - Lanterne et Luciole… Une jolie petite famille lumineuse ! dis-je en riant. - La clairière aux fées est un endroit sacré. Nous y vivons en paix, sans en sortir jamais, nous acquittant de notre tâche sans faillir, sans rencontrer que les êtres que notre mère accepte de recevoir. Nous sommes un peuple solitaire. Un jour, un elfe sauvage est venu nous rendre visite. La forêt s’est inclinée devant lui, et il a pénétré dans la clairière. Là, il s’est dirigé vers la Dame et l’a honorée d’une profonde révérence. Je n’avais jamais vu un être aussi beau. Je me taisais toujours, me gardant bien d’intervenir dans le récit de Cléia à présent qu’elle s’était mise à me raconter son histoire. Au fond de moi, je revoyais clairement la douce clairière aux fées, ses arbres séculaires, sa paix, sa lumière dorée, irréelle, pure. J’imaginais facilement le peuple des fées babillant et cet elfe apparaître, divinité de chair, s’approcher… Au fur et à mesure qu’elle me décrivait la scène, mon rêve éveillé prenait vie. - Les elfes sauvages sont farouches et vivent au sein de leur clan, dans leur forêt, sans jamais en sortir. En voir un, solitaire, si loin de chez lui, était déjà une chose étrange. Je n’avais donc jamais vu d’elfe, n’étant moi-même jamais sortie de ma clairière. Il était immense pour nous, les fées, mais il était tout de même bien plus petit que notre mère qui le dominait de sa haute stature. Il portait une tunique et des pantalons aux couleurs de la forêt de l’automne et un ceinture à laquelle pendait une petite bourse. Comme nous, il irradiait de lumière et il était difficile de le regarder en face. Son visage était doux et bon. Ses cheveux cuivrés, mi-longs étaient noués par un brin d’herbe mais quelques mèches folles encadraient son visage. Il avait la peau extrêmement pâle et des yeux noisette. Comme le peuple des fées, il allait pieds nus. Mes sœurs s’étaient tues et observaient cet être de la forêt dont nos légendes faisaient si souvent mention. La Dame des bois lui tendit sa main qu’il prit dans les siennes et porta délicatement à son front, en un geste doux. Par ce geste même, il se mettait sous sa protection et à son service. C’est alors que la Dame s’exprima : Paix et longue vie au peuple des elfes de cuivre. Comment va la forêt par delà la rivière Poutchaï ? J’entendais ! J’entendais la Dame distinctement. Je ne sais si cela était le fruit du talent de conteuse de Cléia ou un curieux effet de la magie des fées mais j’entendais et je voyais. J’étais conscient de marcher encore mais la forêt des corbeaux avait disparu et Baltyr n’était plus qu’un souvenir ennuyeux. - L’elfe mit un genou à terre et répondit : Longue vie et paix au peuple des fées des bois. La Reine des Elfes de Cuivre envoie Bëren, l’Eclaireur, à sa sœur la Dame des Bois pour lui demander son aide. Zmeï vient de s’éveiller de son sommeil. Il détruit tout, brûle tout. Le sortilège qui le gardait en sommeil a été rompu. Notre forêt est un tas de cendres et nombre des nôtres ont péri en essayant de combattre le dragon. Le peuple des elfes de cuivre a trouvé refuge un peu plus loin, dans la forêt des esprits anciens mais eux aussi sont menacés. Il faut ranimer l’alliance sacrée des peuples magiques pour retrouver coûte que coûte le lien qui tenait sous le joug de l’enchantement le dragon endormi. Zmeï est fou de rage et ne s’arrêtera pas tant que notre terre ne sera pas anéantie. Il s’en prendra aux peuples magiques mais aussi aux peuples de la terre, aux hommes et aux animaux. Notre Reine demande ton aide. Cléia chuchotait presque, en proie à l’émotion des souvenirs. Par moment, je discernais la forêt dans laquelle je marchais, j’avais la sensation même que Baltyr avait ralenti sa marche pour écouter l’histoire de Cléia mais tout était dématérialisé comme si tout était sous le pouvoir grandissant du conte de ma fée-jonquille. - Il y eut un long silence pendant lequel la Dame des bois se recueillit. Puis, d’une voix forte et sûre, elle répondit : Bëren, l’alliance sacrée ne sera pas reniée. Les elfes ont le soutien des fées. Puis elle se tourna vers mes sœurs et moi : Fées des bois, vous avez entendu comme moi l’affreuse nouvelle. Bëren doit repartir pour avertir sans doute les nains, les lutins, les farfadets, les leprechauns, les korrigans, les gnomes, les gobelins du Sud, les domovoys, les ondines qui protègent le monde des hommes. L’une d’entre vous devra le suivre pour l’aider dans sa tâche. Mais je ne peux la désigner, ni la contraindre à si grand péril… C’est alors, que je sus que c’était Elea qui allait partir. Elle était, d’entre toutes, la plus courageuse, la plus volontaire et la plus brillante. Elle abandonna ma main, me regarda droit dans les yeux en souriant, m’embrassa sur le front et s’inclina devant notre Reine. Puis, elle s’approcha de Bëren et, sans un mot, ils s’enfoncèrent dans la forêt. C’était il y a des mois et des mois. Elea n’est pas reparue. Nous n’avons pas eu de nouvelles de Bëren. Mais au moment où tu es arrivé, le bruit des ailes de Zmeï était venu jusqu’à notre clairière signifiant qu’il n’avait pas encore été freiné dans sa frénésie dévastatrice. Tu es venu et j’ai su que c’était mon tour. Je cherche ma sœur. Je cherche mon sang. Je me rends chez Baba-Yaga pour lui demander conseil. Je sais qu’elle est mauvaise, je sais que nous allons risquer notre vie. Mais elle est la seule à pouvoir me mettre sur la trace d’Elea. J’ai eu la chance que tu acceptes de m’accompagner. A deux, nous aurons peut-être plus de chance mais guère. Il faut que nous soyons bien conscients que notre quête est probablement vouée à l’échec et que les Eclaireurs dont faisait partie Elea sont sans doute tombés dans le gouffre d’éternité.
Je suis ravi de vous retrouver, il y a bien longtemps que je ne vous avais pas donné de nouvelles... Que voulez-vous, il pleuvait dans ma maison et j'ai dû refaire ma toiture. Les ennuis parfois se suivent et ne nous laissent pas de répit. Cela ne signifie pas pour autant que l'on ne pense pas à ses amis. Je vous promets de venir vous rendre visite plus souvent maintenant! A très vite, les amis!
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