Louis-Antoine de Bougainville n'était pas un marin. Mathématicien et avocat reconnu, ce protégé de Madame de Pompadour était plus familier des écueils que réservait la fréquentation des salons que de ceux dissimulés sous la surface des océans. Pourtant, si son nom est toujours célèbre, ce n'est ni grâce à son Traité de calcul intégral ni à ses relations mondaines : il le doit à son aventure exceptionnelle et à une fleur.
Dispute diplomatique et cucurbite
Pour comprendre ce paradoxe, il faut remonter cinq ans plus tôt, à la signature du traité de Paris par lequel la France cède aux Anglais Québec et la Nouvelle-France.
Louis-Antoine de Bougainville (34 ans), qui a fait ses armes en tant qu'aide de camp de Montcalm au Canada pendant la guerre de Sept Ans, propose à son gouvernement d'installer des colons acadiens dans l'archipel des Malouines, au large de l'Amérique du sud.Il est en effet convaincu de l'importance de se ménager une base de départ vers le Pacifique et son fameux continent austral.
Mais la nouvelle colonie n'a pas le temps de se développer puisqu'en 1766 Bougainville se voit obligé par Choiseul, secrétaire d'État de la Marine de Louis XV, de monter une nouvelle expédition pour céder cet archipel aux Espagnols qui le réclament au nom du traité d'Utrecht. La France ne souhaitant pas s'attirer davantage les foudres de nos voisins, il est vite décidé de mettre fin officiellement aux implantations acadiennes et d'organiser l'évacuation vers Montevideo des familles qui le désirent. L'important est que ce bout de terre ne tombe pas entre les mains des Anglais, déjà vainqueurs de la récente guerre de Sept Ans.
Pour ne pas perdre la face, Choiseul imagine de transformer cette nouvelle défaite diplomatique en simple étape sur la route d'un prestigieux tour du monde à la recherche des dernières contrées inconnues. L'époque s'y prête : les mouvements encyclopédistes encouragent à laisser libre cours à la curiosité pour étendre les connaissances, les savants ne cessent d'améliorer les conditions de navigation et les États cherchent à engranger les ultimes parcelles encore non revendiquées. Les terres australes, leurs mystères et leurs richesses supposées sont bien sûr dans tous les esprits, à commencer par celui de Bougainville.
Il s'agit donc d'une expédition politique, mais aussi scientifique. En témoigne la participation inédite de trois savants : l'ingénieur de Romainville, chargé du relevé cartographique, l'astronome Véron, venu mettre au point la méthode de calcul de la longitude par les distances lunaires, et le naturaliste Commerson, qui doit faire la collecte des espèces botaniques non répertoriées. N'oublions pas enfin la présence à bord de la cucurbite, cette étrange machine dont on souhaite tester les capacités à dessaler l'eau de mer. ........
(par Isabelle Grégor, docteur ès-lettres modernes)
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