Mais au bout de quelques pas, je m’arrêtai à nouveau. Ces pleurs étaient si touchants, comment vous expliquer, si mélancoliques que j’aurais été un monstre pour ne pas aller voir au moins ce qui se trouvait là-bas. Et s’il s’agissait vraiment d’un être en détresse ? Me pardonnerais-je un jour de ne pas lui avoir porté assistance, moi, un apprenti domovoy, supposé faire le bien et rendre service ? Oui, mais Cléia ? Svarog seul savait ce qui lui était arrivé ! Peut-être l’avait-on mise en cage pour en faire un charmant animal de compagnie. Peut-être l’avait-on torturée ou pire ? Non, non, il ne me fallait pas y penser ! Surtout pas ! Mais, par Zmeï, je devais en avoir le cœur net ! Sans faire de bruit – je commençais à être rôdé à ce genre d’exercice ! – je m’approchai doucement des pleurs. Les sons portaient assez loin dans la forêt et il me fallut marcher un moment avant d’entre apercevoir quelque chose. Peu à peu, j’eus la curieuse impression que l’obscurité était moins dense. Je fus vite renseigné : cela n’était pas le fruit de mon imagination. Un coin de la forêt paraissait baigner dans une belle lumière bleutée, qui ne blessait pas mes yeux, bien qu’ils n’aient rien vu que la nuit noire depuis une éternité. C’était étrangement doux que cette lumière, comme un regain d’espoir. Je m’approchai encore. Les gémissements se firent plus forts. Je me cachai derrière un gros arbre moussu et, accroupi, cherchai du regard la chose de laquelle irradiait la lumière. Cela devait tout de même être gros pour éclairer un tel morceau de forêt, du moins, bien plus gros que Luciole. Je finis par découvrir de quoi il s’agissait. Au milieu des feuilles, des mousses et des brindilles qui jonchaient le sol, il y avait une sorte de… de… de quoi, d’ailleurs ? roulé en boule et qui pleurnichait doucement. Ca n’avait pas l’air d’un animal, ni de rien que je connaissais. « Ca » avait une queue et au moins deux pattes arrières. Mais cela m’avait tout l’air d’être inoffensif et d’avoir besoin d’aide. Je sais ce que vous allez me dire, cela aurait pu me coûter la vie, il ne faut pas aller au devant d’un éventuel danger, oui, vous avez raison, bien évidemment et un domovoy aguerri m’aurait houspillé comme il se doit pour cela. Mais, je ne sais pas, j’étais en confiance. Mon instinct me disait que « cela » ne me voulait aucun mal. Je m’approchai à pas de loup et m’arrêtai à distance convenable. Je raclai ma gorge et dis : - Tu as besoin d’un coup de main ? La « chose » fit un effort pour se retourner. Elle avait l’air de beaucoup souffrir car elle modérait tous ses gestes. Quand elle fut face à moi, elle ouvrit de grands yeux et feula, enfin, elle émit un bruit qui ressemblait à un feulement. Mais c’était bien tout ce dont elle était capable et elle retomba lourdement sur le sol, la respiration courte. Je ne savais pas ce que c’était. Alors, je vais vous la décrire telle que je la vis : Cet être devait mesurer 2 pieds tout au plus. Il avait une tête qui avait un je ne sais quoi de félin, avec de grands yeux étirés tout noirs, un triangle en guise de nez et des babines retroussées en un sourire naturel. Il n’avait pas de cheveux mais deux antennes dont les bouts scintillaient et au sommet du crâne, une antenne plus grande et plus brillante. De plus, ses oreilles étaient taillées en pointe. Il avait un gros ventre tout rond et de longs bras terminés par de très grandes mains. Dans son dos, il avait des espèces d’ailes aux pourtours déchiquetés. On aurait dit que tout son corps était recouvert de plumes très fines, d’ailleurs, de ses reins pendaient deux magnifiques plumes qui ressemblaient à celles de la queue des oiseaux que nous nommez paons. Et toute sa personne était d’un bleu profond parsemé de touches de orange. L’être essaya de se tenir sur ses jambes mais il ne parvint qu’à tomber lourdement. A l’observer de plus près, je vis qu’il avait les deux jambes et les deux mains enserrés dans des menottes végétales. Il avait dû tomber dans un piège. Ses grandes mains semblaient l’handicaper et le rendre maladroit. Je mis un genou à terre et lui demandai de ne pas avoir peur. Puis je tendis la main vers lui. Il feula à nouveau, des larmes de douleur pleins les yeux. Peut-être ne parlait-il pas ma langue après tout ? Je pouvais comprendre un certain nombre de dialectes mais je ne savais pas les parler. Je farfouillai dans ma besace et en sortis le morceau de pain qu’il me restait. Je le tendis bien à plat sur ma main, sans m’approcher trop. Il observa d’un air interrogateur mon visage, ma main, mon visage et, prestement, attrapa le bout de pain qu’il renifla avant d’y goûter puis le dévora tout entier. Il émit un bruit qui ressemblait un peu au ronron d’ un chat et inclina sa tête sur le côté avant de dire, d’une petite voix nasillarde : - Houp, houp, es-tu un ami ? Il parlait en un étrange langage proche du dialecte sylvestre, mâtiné de dialecte céleste. Cela ne pouvait être qu’un esprit bon. Les esprit mauvais ne maîtrisent pas ces langues délicates et se cantonnent à l’utilisation des langues draconiennes et abyssales qui sont des langues gutturales et discordantes. Tiens… C’était bizarre, ça. D’où est-ce que je tenais ces connaissances-là ? Je tendis à nouveau la main en souriant et lui répondis : - Si je ne suis pas ton ami, du moins ne suis-je pas ton ennemi.
Qui il était? Ah, ça, vous le saurez plus tard... Je dois allez chez mon cousin lui porter un peu de potage. Il a attrapé une grosse grippe qui le cloue au lit. Repassez la semaine prochaine!
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