A quoi ressemblait-elle, Inès de Castro ? Belle, sans doute, et dotée d'un "col de cygne" ; ardente, à coup sûr, et issue d'une grande famille castillane ; mais encore ? L'histoire n'a pas gardé d'image de la maîtresse du futur roi Pedro Ier du Portugal, assassinée en 1355 à Coimbra. C'est donc la légende, toujours flamboyante, qui s'est emparée de cet amour illégitime, violent, trempé dans la trahison, le sang et, finalement, la vengeance. La légende qui, comme chacun sait, se nourrit du désir de ceux qui l'écoutent, mais aussi des lieux où déambulèrent ses protagonistes, pour peu qu'ils aient résisté au passage du temps. (….)
Elle commence, cette balade, dans le jardin d'un palais du XVIIIe siècle devenu hôtel, la Quinta das Lagrimas. En portugais, le mot lagrima signifie "larme", les pleurs d'Inès ayant donné leur nom à l'endroit. Tout au fond du parc, non loin d'une source pieusement recouverte d'un drôle de petit édifice, façon sanctuaire, jaillit la "fontaine des larmes", près de laquelle se rencontraient les amants. Et si l'eau qui s'écoule prend là des teintes rougeâtres, n'allez pas croire que la couleur naturelle des pierres y est pour quelque chose. Car c'est de sang qu'il s'agit, raconte-t-on, et quoi de plus logique ? Tout, dans cette histoire, n'est-il pas baigné de sang et de larmes ? A l'origine, pourtant, l'amour est la composante principale de cet épisode qui mobilise l'imagination des poètes : la passion folle de l'infant Pedro, fils du roi Alphonse IV, pour une très jeune cousine de sa femme. Inès de Castro, venue au Portugal dans la suite de la future reine, deviendra la maîtresse de Pedro, en dépit de l'opprobre et des tentatives de l'épouse légitime pour les séparer. Pour communiquer, dit-on, les amants utilisaient le cours d'un petit canal (devenu le "canal des amours"), qui reliait la "source des larmes" au couvent voisin. Sur les eaux ténues de cette rigole, qui se perd entre les buis et les fougères, l'infant faisait naviguer des bateaux de bois chargés de billets doux. A l'époque, le canal approvisionnait en eau potable le couvent voisin de Santa Clara, où Inès avait trouvé refuge. (…) C'est dans un palais situé en bordure de ce couvent qu'Inès de Castro fut décapitée sur ordre du père de son amant. Une muraille percée de deux fenêtres en ogive, quelques colonnes fracturées, des arbres qui poussent en travers des pierres, voilà tout ce qui reste. Et il faut, là encore, imaginer les derniers instants de cette femme de 34 ans, tuée en l'absence de son amant. Exaspéré par l'influence de la famille castillane d'Inès sur son fils, Alphonse IV avait réuni des séides au château de Montemor-o-Velho, dont les donjons austères se dressent encore, à quelques kilomètres de Coimbra. De là partirent les assassins, dont le geste suscita la fureur de l'infant. Ivre de rage, il entra en guerre contre son père et se vengea cruellement des meurtriers. Quant à la femme de son coeur, il lui offrit une sépulture à la hauteur de son amour... et de sa fureur. Devenu roi, il fit transporter sa dépouille dans le monastère d'Alcobaça, au centre du Portugal, où un gisant splendide fut installé sous les voûtes. Mieux : dans un délire vengeur, celui qu'on appela ensuite "le Cruel" obligea sa cour à se déplacer pour baiser la main d'un cadavre vieux de plusieurs années. Aujourd'hui, plus de six siècles après, la belle Inès repose toujours dans son cercueil ouvragé, soutenu par des griffons de pierre. Certains, dit-on, possèdent un visage humain qui serait celui de ses assassins.
Raphaëlle Rérolle Article paru dans l'édition du 10.12.05 (Le Monde)
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