A force de persévérance, nous parvînmes à l’orée de la forêt. Boon parlait peu. C’était un vrai feu follet qui sautillait, s’éclipsait, réapparaissait plus loin sans se lasser. De temps en temps, il s’arrêtait, regardait à droite et à gauche et, pris par la peur de m’avoir perdu, il tournait sui lui-même, à peine moins vite qu’une toupie jusqu’à ce que son regard ait retrouvé un contact avec le mien. C’était vraiment un drôle de personnage. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il plairait follement à ma fée-jonquille… L’orée de la forêt, enfin ! Boon vint m’annoncer la bonne nouvelle par des pirouettes, des bonds, des cabrioles, son minois de chat rayonnant. Sa joie faisait plaisir à voir ! - Lullaby disait vrai il savait comment sortir de la forêt, houp houp ! Lullaby, pas un menteur ! Boon reconnaissant. Boon aidera Lullaby pour retrouver Cléia ! Je compris que lorsque mon nouvel ami était heureux, sa langue s’embarrassait. - Boon, nous allons faire une halte ici, si tu le veux bien. Il faut que je me repose un peu. Tu me raconteras d’où tu viens, ce que tu faisais dans la forêt et comment faire pour arriver à Cléia. - Houp ! Je pris l’onomatopée pour un consentement et entrepris de ramasser du bois. - Boon vient de Cornouailles. Je me redressais, surpris. J’étais tellement certain que tous les peuples magiques vivaient ici, en terre de Feërie, que je ne m’étais jamais imaginé que des êtres magiques puissent vivre, durablement, ailleurs. Pourtant, maintenant que j’y pensais, mon maître Pipenbois m’avait bien dit que notre peuple était né pour protéger les hommes et préserver notre place dans leur univers. Cela signifiait bien que certains d’entre nous quittaient régulièrement Feërie pour se rendre en terre des hommes. - Tu viens de bien loin, Boon… - Boon a été chassé… Boon s’occupait d’un petit garçon, Léo, et faisait en sorte de tenir loin les mauvais rêves. Mais un jour, la grosse bête du rêve a chassé Boon. Boon s’est évanoui ! Quand il s’est réveillé, il se trouvait dans la méchante forêt sans lumière. Pas de sortie, plus de Léo… Je compris alors qu’il avait cru apercevoir son petit protégé et l’avait suivi, ce qui l’avait conduit tout droit dans un piège. Boon sanglotait dans son coin, sans faire de bruit et de grosses larmes bleutées noyaient ses grands yeux. Il était persuadé qu’il avait laissé le vrai Léo dans la forêt. Je posai à terre mon tas de petit bois et m’approchai de lui. Agenouillé devant lui, je le consolai : - Boon, sois tranquille. Léo est probablement dans sa maison. Tu n’as croisé qu’un mirage dans la forêt. C’était une ruse pour te piéger. Boon redressa la tête et sécha ses pleurs. Je l’envoyai alors chercher des baies, des racines et des champignons tou ten lui recommandant bien de ne plus pénétrer dans la forêt. Il acquiesça et s’éloigna en sautillant. Pendant ce temps, adossé à un rocher, j’allumais un petit feu. Quand ce fut fait, je levai les yeux et observai les étoiles naissantes dans le ciel. Je baissai les paupières et me laissai envahir par une onde de sérénité. C’était une sensation étrange lorsqu’on tenait compte des derniers événements mais, tout à coup, je me sentis investi d’une foi nouvelle et de la conviction que, quoi qu’il arrive, je trouverais une solution pour réunir et protéger mon clan. Mon clan ? Oui, c’était cela : mon clan, ma famille. Pipenbois, la sagesse. Cléia, la force. Boon, la joie. Et moi… moi ? L’espoir… Peut-être même qu’au long du voyage, mon clan s’agrandirait… Je me pris à rêver à une chaumière bâtie de mes mains, prête à accueillir les miens et cette pensée laissait un parfum sucré à mes réflexions. Quand je rouvris les yeux, Boon, apeuré, se tenait à distance. La panique m’envahit. - Qu’y a-t-il, Boon ? - La méchante bête… - Où ça ? fis-je en sautant sur mes pieds. - Là ! me désigna-t-il en pointant du doigt mon petit feu de camp. Je ne pus m’empêcher de glousser. - Boon, ce n’est pas une bête, c’est juste du feu. C’est pratique pour se réchauffer. - La grosse bête baignait dans « dufeu » et « dufeu » m’a fait mal, houp ! Un dragon ? Boon avait été brutalisé dans un rêve par un dragon ? Cela allait dans le sens de ce que m’avait raconté Cléia : Zmeï était sur le point de se réveiller. Il était à présent assez conscient pour s’en prendre physiquement aux bons esprits, Boon en avait fait les frais. J’allai chercher Boon et l’entraînai par une main. - Le feu peut brûler, oui, si on s’en approche trop mais aie confiance en moi, celui-là ne te fera aucun mal. Le lutin bleuté s’approcha précautionneusement mais s’arrêta à une distance prudente. Il me tendit une bonne brassée de champignons que nous partageâmes. Boon gardait cependant un œil méfiant sur le feu, je décidai de détourner son attention. - Boon, où est Cléia ? - La petite fée jaune ? Chez la sorcière. Dans une cage. Houp, juste un peu faim. Alors, cela ne changeait pas mes plans initiaux. Mais était-ce elle qui avait également subtilisé ma boule à rêves ? Comme s’il avait lu dans mes pensées, il me dit : - Ce sont les diablotins de la rivière qui ont la boule. Ils vivent près de la rivière qu’on voit là-bas, houp-houp. - La rivière des Lobasta ? Sont-ils à leur service ? - Oup, non… Les diablotins de l’eau n’ont pas de maître. Juste des êtres turbulents, pas méchants, un peu bêtes. Bien ! Alors, il nous faudrait chercher ces diablotins en premier lieu puis tenter de trouver un moyen de franchir la rivière. Ensuite, nous aurions tout le temps d’aviser comment appréhender la sorcière et comment libérer Cléia. Une fois notre repas frugal englouti, je refis les pansements de Boon et lui proposai de monter la garde le temps qu’il se repose. Ensuite, ce serait son tour. Il était hors de question qu’à nouveau, le danger nous surprenne pendant notre sommeil. Boon accepta et se roula en boule, tout contre moi, comme un chat. Je passai une bonne partie de la nuit à alimenter le feu et à échafauder des plans de sauvetage. Quand je vis les étoiles commencer à pâlir et la lueur rougeâtre précédant le soleil à l’horizon, je réveillait Boon avant de m’endormir profondément. J’étais déterminé et sûr de moi, ce qui m’apportait la force de la sérénité.
Il faut que je sorte mon pain du four. Humez cette bonne odeur. Il y a aussi de la brioche et des pains aux raisins. Je vais vous en donner un peu dans un petit panier, vous m’en direz des nouvelles !
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