Nous pouvions dire que nous avions eu beaucoup de chance que ma boule à rêves ait été dérobée par des êtres si inoffensifs. Boon m’expliqua que les koulechata étaient pacifiques tant qu’ils n’étaient pas contraints au service d’un sorcier. Je regardai la boule que je tenais dans mes mains. Elles rougeoyait, parcourue de frissons noirs. Il me fallait l’interroger pour savoir comment allait ma fée-jonquille. Mais on ne commande pas à une boule à rêves, elle ne montre ce qu’elle veut, c’est ce que je dus conclure… Ce qui apparut dans la lueur tremblotante me fit hoqueter : Baltyr ! Baltyr le traître , la source de nos derniers ennuis ! Je me souvins du rêve que j’avais fait et je n’en crus pas mes yeux lorsque je vis exactement les mêmes images que celles qui m’étaient apparues, des jours plus tôt dans mon sommeil : Baltyr blessé, recroquevillé sur une dalle, grelottant. Baltyr enfermé dans une sorte de cachot sombre et humide. Baltyr qu’une ombre approche, une ombre géante, l’ombre d’un pied énorme qui se soulève du sol et tape dans la petite masse au sol qui ne se défend même pas. J’entends un gémissement mais ce n’est pas Baltyr… Je me rends compte qu’il vient de ma propre bouche… Je remarque les traces brunes autour des poignets et des chevilles de Baltyr, les mêmes que celles que porte Boon, mais plus sombres encore, les entailles plus profondes. Un frisson me parcourt l’échine. Je ferme les yeux un instant et avale une goulée d’air. Lorsque je rouvre les yeux, la boule est redevenue opaque et des flots rouges se mêlent et se défont à sa surface. Je croise le regard de Boon. Ses grands yeux noirs retiennent à grand-peine de grosses larmes et de minuscules gouttelettes perlent à l’extrémité de ses longs cils. Je suis partagé. Baltyr nous a trahis et quand bien même la morale m’ordonnerait de tenter de le délivrer, Cléia reste ma priorité et elle est toujours prisonnière de Baba-Yaga. - Je ne peux pas, Boon. Baltyr est un lâche et un menteur. Il nous a trahis avant de s’enfuir… murmurai-je. - Baltyr pas traître, me répond Boon. - Comment ? Comment peux-tu bien le savoir ? m’emportai-je. - Baltyr, esprit bon, houp, houp. De notre côté… Boon certain, martèle Boon. - Boon, cesse tes sottises ! Tu n’étais pas là, tu ne sais rien du tout, m’irritai-je. Boon se mit à gazouiller. Je sentais sa colère croître. - Boon sait beaucoup de choses. Boon peut traverser, sans y avoir été invité, les rêves de tous les esprits. Houp, houp, Boon pas vu trace de ce que raconte Lullaby. Boon vu douleur, peine, solitude, froid. Pas corbeaux ! Pas fausseté ! Lullaby tort ! Lullaby cœur froid, houp ! - Boon, tu vas trop loin ! Une fureur sourde m’envahit. Va le délivrer, si tu es si sûr de son innocence ! Moi, j’ai une autre mission ! J’ai mon amie à retrouver ! Qui me dit que tu n’es pas au service de ce traître de Baltyr et qu’il ne se sert pas de toi pour me piéger ? Toute trace de colère disparut du visage de Boon. Les larmes de tout à l’heure mouillaient ses joues et ses grands yeux, noyés, me fixaient, au désespoir. - Houp, houp… Oh, Lullaby… Boon, ami… Lullaby, ami ? Je baissai la tête, refusant de lui répondre. - Boon va chercher Baltyr. Baltyr, sans doute prisonnier des géants des sables, houp. Bonne chance, Ami, bonne chance pour la fée… Boon se tut, tourna les talons et se mit en route. Pour une raison que j’ignorais, ses mots, son attitude m’avaient mis hors de moi et je hurlai au petit être bleu qui s’éloignait : « Adieu ! ». Boon s’arrêta, se retourna et me lança un regard d’une tendresse infinie. Comment pouvait-il ? Je fis volte-face, et repris ma route, en quête d’un gué pour traverser la rivière des Lobasta.
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