Des jours déjà que j’étais enfermée dans cette cage comme un petit serin. Mon sort aurait pu être plus tragique, c’est un fait, mais je ne pensais pas que l’on me prendrait un jour pour un moineau ! Rien ne manquait : la balancelle, la baignoire, et la mangeoire dans laquelle on me servait graines, racines et baies. En somme, je n’étais pas à plaindre. Ce qu’il s’était passé ? Je ne le sais pas vraiment. J’étais avec Lullaby dans la forêt et j’avais vu Eléa. Je m’étais précipitée et, au moment où j’avais pris ma sœur dans mes bras, le paysage avait crépité et je m’étais retrouvée ici. Cela n’avait pas été long avant que j’aie une idée de l’endroit où je me trouvais : la maison de Baba-Yaga. Ce n’était pas très difficile : une cheminée flamboyante dans le fond de la pièce, noyée de pénombre, des pots en verre de toutes les formes et de toutes les tailles sur de longues et nombreuses étagères, une table vermoulue et encombrée, une chaise défoncée et des bouquets de plantes séchées pendus par les tiges au plafond, constituaient tout le mobilier. Ah, j’allais oublier : un énorme chaudron bouillonnait sur le feu et un corbeau assez vilain voletait tout près de ma cage pour la faire ballotter. Je pensais à Lullaby seul dans la forêt, je pensais à la peine qu’il avait dû ressentir quand il m’avait vu disparaître et je me demandais si mon ami arriverait jusqu’ici, sain et sauf. Je n’avais pas encore vu la sorcière. Elle semblait se cacher. Cela faisait des jours que j’étais enfermée et je n’avais eu que la visite d’un petit gnome hideux qui m’apportait ma pitance. Pourtant, j’attendais Baba-Yaga avec impatience et fermeté car, même si elle m’avait faite prisonnière, j’avais atteint mon but et j’allais pouvoir lui demander enfin si elle savait ce qui était arrivé à ma sœur. Mon attente fut récompensée quand j’entendis le penne de la porte s’enclencher et la porte grincer sur ses gonds. Un courant d’air aussi froid que la mort s’engouffra et me fit frissonner. Imaginez une vieille dame particulièrement décharnée, ajoutez-lui un air machiavélique, un soupçon de colère, une lueur de désespoir et une grande fourberie dans le regard. Voilà, vous y êtes presque. Baba-Yaga s’avança en claudiquant. Une longue robe couleur de vase tombait jusqu’à ses pieds. Au bout de ses longs bras osseux pendaient des mains tout aussi longues et griffues. Elle portait un petit chaudron noir comme la suie et un mortier. Je savais qu’il s’agissait là de son moyen de locomotion favori. Mes yeux suivirent ce long corps maigre et j’eus le sentiment que mon âme était happée par ses deux gros yeux exorbités qui me menaçaient. Son visage ! Ses yeux, aussi noirs que le ventre de la terre, couronnés de sourcils en accents circonflexes me détaillaient toujours. Son long nez crochu soulignaient ses pommettes creuses et sa pâleur inquiétante. Sa bouche, fermée, semblaient exprimer le plus profond dégoût, tordue en un rictus effrayant. Une masse de cheveux jaunâtres folâtraient tout autour de son visage et encadraient son large front parcouru de rides aussi profondes que le lit des rivières. Baba-Yaga. J’étais en face de Baba-Yaga, la sorcière !
|