Marcher. Je ne sais combien de lieues nous avions parcourues depuis notre départ de l’izba de Maître Pipenbois… Et j’avais le pressentiment que j’étais loin d’arriver au terme de ma marche. J’eus une pensée pour mon maître. Cela faisait tellement de jours que mon esprit ne s’était pas tourné vers lui. Que devenait-il ? Avait-il eu des nouvelles d’Eléa ou du nouveau danger qui nous menaçait tous ? Avait-il été inquiété ? Que pouvait-il bien se passer au Sud de Féerie ? Le chemin était long et ennuyeux. La rivière à notre droite et du sable, rien de plus. Boon tendit sa longue main bleue pour désigner une masse sombre au loin : les falaises des géants, leur palace trois étoiles. Pourvu que nous ne tombions pas sur des ogres comme Jack après être monté en haut de son haricot magique… Je n’avais aucune envie de finir en kotletki (des boulettes de bœuf…) ! Et puis, une autre inquiétude me taraudait : bien que Boon ait un appétit d’oiseau, nous arriverions bientôt à bout de mes petites provisions. Nous avions eu beau glaner sur les chemins toute la nourriture que nous avions pu trouver, cela ne représentait qu’un maigre butin. Que nous arriverait-il quand il ne resterait plus rien et que n’aurions plus que le goût du sable sur nos langues ? Il est vrai que ma gourde magique nous mettrait à l’abri de la soif mais ce n’était qu’une consolation dérisoire. Le sol trembla. Peut-être pourrions-nous tenter de voir si la rivière ne recelait pas quelques trésors d’algues nourriss… Le sol avait tremblé ? Oh, oh, les ennuis n’étaient pas loin. Nouvelle secousse. Rien à l’horizon. Braoumm ! Pourvu que ce ne soit pas ce à quoi je pense ! - Là-bas ! cria Boon. Derrière nous, un immense, gigantesque, monumental pied écrasa un gros chêne qui devait être plusieurs fois centenaire comme s’il eut piétiné une fragile brindille.
- Houp, chance – chance – chance ! marmonna Boon. - « Chance » ? interrogeai-je, craignant de n’avoir compris. - - Lullaby et Boon trop petits pour être vus par Géant. Attraper bas pantalon, ou lacets ou n’importe quoi et houp ! - « Et houp » ? es-tu devenu fou ? Boon n’eut pas le temps de me répondre. Il fallait gagner du temps et saisir sa chance. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire ! Une énorme, énorme, ENOOORME semelle fit comme une éclipse au dessus de nous. Nuit ! Pas le temps d’évaluer nos chance de réussite, il fallait courir ! - COUUUURS ! hurlai-je à mon ami. Le but premier fut de ne pas finir en bouillie sous la chaussure de ce monstre. J’eus alors une pensée émue pour tous les cafards qui connaissaient des fins tragiques de par le monde. Boon partir à droite de l’éclipse et moi à gauche. Un nuage de poussière s’éleva bien au dessus de nos têtes avant même qu’un véritable tremblement de terre secoue le sol. Un vacarme insupportable envahit ma tête. Je bouchai mes oreilles et fermai instinctivement les yeux, accroupi au sol. Lorsque j’eus le courage de rouvrir les yeux, je vis la masse prête à l’élever et un tout petit point bleu me héler : - Houp, Lullaby, houp ! Cela avait dû être facile pour Boon, agile comme il l’était, de grimper sur le géant. Mais moi, j’étais aussi souple qu’une vieille armure rouillée. Je me redressai et courus en tendant le bras pour saisir le bas de ce qui pouvait être une des attaches de ses bottes. Mais je manquai mon coup et ma main ne fit que frôler le cuir rugueux. Un éclair bleu jaillit et je vis Boon, maintenu part sa queue à une boucle de la botte, me tendre les deux bras ; Il saisit une de mes mains et, avec une force que je lui soupçonnais pas, me fit quitter la terre ferme. C’est à ce moment-là que la botte décolla. J’eus l’impression de léviter et mes yeux rivés à ceux de Boon, je tentai de ne pas penser à ce qui arriverait su Boon me lâchait. Le visage de mon ami était crispé par l’effort qu’il faisait. Mes mains glissaient. Je sentis ses mains se serrer plus fort, les muscles de ses longs bras se bander, puis je fus emporté. Je frappai violemment la botte de cuir et m’agrippai de toutes mes forces à la courroie que mon visage avait heurté. - Boon, ce ne sont pas là des façons respectables de voyager… dis-je dans un souffle. Boon étouffa un gloussement et me fit un clin d’œil.
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