- Mère, c’est un long voyage qui m’a conduit jusqu’à vous. J’ai quitté le cercle des fées pour vous rencontrer et bénéficier de votre sagesse et de votre science. Savez-vous ce qui menace notre monde ? Une voix grinçante comme le chant d’une vieille poulie s’éleva faiblement : - Notre monde a toujours souffert des menaces de l’autre Versant. Je fus surprise par cette réponse énigmatique mais ne me laissai pas désarçonner. Je repris : - Mère, Zmeï s’est réveillé. Il s’en est déjà pris au peuple des elfes de cuivre… - Je sais. C’est dans l’ordre des choses… - Mais si Zmeï se lève, c’est toute l’harmonie de Féerie qui est mise en danger. Des messagers parcourent notre terre pour avertir les peuples et les fédérer sous la même bannière. - C’est une cause perdue d’avance, grinça la voix rouillée. - Ma sœur fait partie de ces messagers. - Lui as-tu dit adieu ? Mon cœur cognait dans sa cage. J’inspirai calmement avant de répondre : - Est-ce la réponse à la question que je suis venue te poser ? - Si ta question est de savoir si ta sœur est encore en vie, oui. Les messagers d’une telle nouvelle n’ont pas pour destin de demeurer en vie. Zmeï est tout puissant et sert le Versant tout puissant. Il aura fait ce qu’il fallait pour qu’on ne le renvoie pas dans son sommeil. - Peu me chaut votre avis, Mère ! Je suis venue vous demander si les ailes noires de vos corbeaux, les museaux fouineurs de vos chats ou les oreilles peu scrupuleuses de vos chauve-souris avaient entendu parler des Eclaireurs, savaient quel avait été leur itinéraire et s’ils avaient été freinés ou arrêtés par ce Versant dont vous parlez. Je veux savoir ce qu’il est advenue d’un elfe et d’une fée des bois partis courageusement mener leur mission, pour ranimer l’alliance sacrée. - Ils ont été rejoints par un korrigan et un farfadet. Mais le peuple des gnomes a failli à l’alliance. Quant aux ondines, elles préfèrent nager dans les eaux troubles du Versant. Une pierre tomba dans mon estomac. Deux peuples avaient déjà bafoué l’alliance qu’avaient signée un grand nombre de peuples magiques lorsque Zmeï avait sévi, bien avant ma naissance. Cette alliance avait été symbolisée par une troupe composée d’un membre de chaque peuple, troupe que l’on avait appelée Les Eclaireurs. Ce sont ces Eclaireurs qui avaient battu la campagne pour trouver un être, magique ou non, capable de vaincre Zmeï. Sur leur route, ils avaient rencontré des princes, des mercenaires, des magiciens, des mages qui tous, avaient eu assez d’orgueil pour se croire assez puissant pour combattre et terrasser Zmeï. Mais chacun d’entre eux était allé droit à sa perte. Prêts à abdiquer, ils avait croisé la route d’un humain, un certain Ivan le forgeron qui, malgré sa pauvreté, les accueillit chez lui, les nourrit et leur offrit une place au coin de l’âtre. La légende dit qu’ému par le récit de ses invités, il leur aurait promis d’aller affronter le dragon, ce à quoi les Eclaireurs se seraient opposés. Si les êtres magiques n’avaient pu venir à bout du terrible monstre, qu’aurait pu faire un humain. Ivan ne se laissa pas décourager et demanda aux Eclaireurs de le mener jusqu’à la bête. Arrivé face à Zmeï, un combat titanesque eut lieu et Ivan parvint à soumettre le dragon en le maintenant à l’aide de pince de forgeron. Il ne tua pas Zmeï qu’il plongea, par un artifice connu de lui seul, dans un sommeil profond. D’aucuns affirmèrent que Ivan n’était autre que Svarog déguisé en humain, notre dieu suprême. Il est vrai que Svarog est le dieu de la métallurgie et aurait bien pu se servir de pinces enchantées. Mais personne ne le sut jamais. Ivan, humble et bon, partit sans réclamer de récompense et si l’on entendit souvent parler de lui, et si nombreuses sont les bylines qui chantent ses louanges, on ne sut jamais qui il était vraiment. Cette alliance était restée une évidence, une protection pour les êtres magiques. Pourtant, nous savions tous que certains peuples s’étaient rangés du côté de l’autre bannière, en des temps reculés. Les trolls et les géants, par exemple… - Et depuis qu’ils se sont mis en route pour le royaume des nains, mes corbeaux n’ont plus de nouvelles. Pas les nains ! C’était inconcevable ! Ils ne pouvaient pas avoir trahi une alliance qui leur avait permis de sauver leur peuple de la furie de Zmeï avant ma naissance ! - Et les nains n’ont pas pour réputation de s’embarrasser de prisonniers, si c’est ce que tu voulais savoir. - Mes jambes se firent molles comme du coton et je me laissai choir au fond de ma cage. Baba Yaga me lança un regard amusé et vaqua à ses occupations sans plus se soucier de moi alors, je laissai les larmes remplir mon cœur.
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