Nous ne pouvons pas repartir tout de suite, Baltyr doit récupérer des forces. Restons ici quelques jours. Cela faisait quatre jours que nous vivions dans une caisse de bois, au cœur de la cité des géants des sables. Boon, le plus vif d’entre nous, était le préposé au ravitaillement. Il s’amusait à faire rouler jusqu’à notre logis de fortune des pommes aussi hautes que lui, à ramener des arachides qu’il portait sur son dos comme des sacs de patates et des champignons dont il se servait d’ombrelles. Nous n’ étions pas à plaindre et même, nous avions le sentiment que nous n’avions pas été aussi heureux et sereins depuis des éternités. Oh, bien sûr, l’évasion de Baltyr avait causé un sacré remue-ménage mais les géants avaient vite abandonné l’idée de retrouver le minuscule espion. Les cuisiniers qui passaient une bonne partie de la journée à préparer des menus gargantuesques, s’étonnaient seulement que le domovoy, si mal en point, soit parvenu à déjouer la surveillance de ses geôliers et à s’enfuir. On soupçonnait le garde d’avoir mal refermé la porte de sa prison, ce qui expliquait d’une façon logique la disparition de Baltyr. Ce garde avait d’ailleurs été sévèrement puni, disaient-ils. Nous vivions donc comme des souris, au rythme des géants, et ne sortions nous dégourdir les jambes que lorsque nous étions certains qu’aucun danger ne nous menaçait. La première nuit, nous avions dormi dans la paille dont était remplie la caisse en bois, puis Boon avait fait un hamac d’une serviette de table pendant que j’avais installé Baltyr dans une énorme coquille de noix vide. Quant à moi, j’avais vidé une boîte d’allumettes géantes pour m’y installer. J’avais ensuite coupé dans un torchon qui aurait pu servir de tente à une dizaine de lutins de grandes couvertures car dès que les fourneaux cessaient de ronronner, le froid s’abattait sur la cuisine. L’état de Baltyr était alarmant. Nous nous relayions à son chevet sans jamais le laisser seul. Nous essayions de le nourrir mais, terrassé par une violente fièvre, il refusait, la plupart du temps, d’avaler quoi que ce soit. Outre sa faiblesse extrême, sa maigreur et sa fièvre, il présentait un grand nombre de blessures, un poignet en miettes, certainement une ou deux côtes cassées, des hématomes ainsi que des brûlures infectées. Boon avait été envoyé en mission chercher un petit bout de savon et quelques gouttes d’alcool pour désinfecter les plaies les plus vilaines et il avait rempli sa tâche brillamment : il était revenu avec une miette du savon des géants, susceptible de laver une famille domovoy pendant un bon mois et avec quelque chose qui ressemblait à un seau. En fait de seau, il s’agissait d’un dé à coudre que Boon avait cerclé de ficelle pour faire office de anse et qu’il avait rempli au tiers d’un alcool très fort et aussi clair que de l’eau de vie. Aussi délicatement que si Baltyr avait été en porcelaine, je l’avais lavé, puis avais passé un linge humecté d’alcool sur ses plaies ce qui lui avait tiré des hurlements à peine atténués par la main de Boon sur sa bouche. Heureusement, j’avais attendu que les géants fassent leur vaisselle à grande eau, ce qui provoquait toujours beaucoup de bruit et avait suffi pour couvrir les gémissements de mon nouvel ami. Je n’avais pas les connaissances de ma petite Cléia en matière de soins, mais je faisais confiance à mon instinct. J’avais ensuite fait une attelle à son poignet avec des bouts d’allumettes et des bandelettes et j’avais fini par bander le torse de Baltyr très serré. Hélas, je n’avais rien pour faire baisser sa fièvre et je ne pouvait qu’attendre. Boon avait bien cherché des remèdes dans la cuisine mais les géants ignoraient totalement l’art des plantes médicinales et encore plus la magie. Boon partait souvent explorer la cuisine, voler un dé à coudre de lait, de la soupe bien chaude, un peu de pain, multipliant les imprudences pour nous nourrir. Et nous nous efforcions de rétablir Baltyr, lui épongeant le front d’un linge baigné d’eau glacée et le nourrissant presque goutte à goutte.
|