Je m’assis alors sur un matelas doux et crissant. Un bruit que je connaissais, car mon petit panier faisait le même bruit quand il était plein des herbes et plantes que je cueillais dans la forêt. Un fol espoir m’étreint le cœur. Grâce à la lueur orangée qui émanait de mes ailes, je pus confirmer mon hypothèses : le pot dans lequel m’avait enfermé Baba-Yaga était un pot à herbes. Les sorciers, les enchanteurs et les êtres magiques y enferment des plantes séchées qui leur sont utiles pour toutes sortes de préparations. Il suffisait que ma chance soit assez grande pour que le pot contienne des plantes susceptibles de m’aider… Je me mis à les renifler pour les identifier. J’espérais trouver des feuilles de datura, plus communément appelée l’herbe à sommeil, des baies de genévrier, qui annihilaient, pour un temps au moins, les pouvoirs des êtres magiques et enfin, des feuilles de mûrier qui me permettraient d’interroger ma sorcière, dans son sommeil ! Je pus trouver des fruits de datura, qui me permettraient d’endormir Baba-Yaga et des feuilles de mûrier. Je ne pourrais pas me prémunir de ses pouvoirs magiques, mais il s’agissait là d’une précaution dont je pourrais me passer ! Le seul problème, c’est que si le datura avait de réels pouvoirs d’endormissement, je ne connaissais qu’un moyen pour le provoquer, c’était de placer les chaussures de la personne à endormir pointes face à un mur et de disposer sept feuilles de datura dans la chaussure gauche et sept demi-feuilles dans la chaussure droite. Autant dire que Baba-Yaga ne me laisserait sûrement pas le temps de la déchausser. Et je ne savais même pas si les fruits hérissés du datura feraient l’affaire ! Mais, je n’avais pas d’autre choix que de tenter ma chance ! Je réduisis en poudre les feuilles de mûrier et les fruits, et je me piquais plusieurs fois… Quand j’eus achevé mon ouvrage, je gémis et appelai la sorcière pour qu’elle ôte le couvercle : - Baba-Yaga, pitié, il fait tout noir là dedans, sors-moi de là, je serais docile, de grâce ! Si tu ne me fais pas sortir, je crains que tu ne dises adieu à ton bouillon de poudre de fée… Mon plan fonctionna et la lumière jaillissante m’éblouit avant que je puisse discerner le vilain visage de la sorcière. Sans attendre, je lui jetai la poudre magique au visage. Baba-Yaga me regarda d’un air ahuri et tomba à la renverse, en ronflant de tout son cœur. Je restai immobile, cela avait été tellement facile que j’y croyais à peine. J’étais venue à bout de la sorcière grâce à une erreur de sa part ! J’étais libre ! J’agitai doucement mes ailes, meurtries d’être restées repliées si longtemps et voletai pour me poser à bonne distance de Baba-Yaga. Je commençai mon interrogatoire : - Que sais-tu des Eclaireurs qui parcourent le pays pour alerter les peuples du réveil de Zmeï ? - Ils ont parcouru des lieues et des lieues et ont rallié à la bannière du Versant Sud les farfadets et les korrigans. Les ondines et les gnomes ont refusé l’alliance. Ils sont allés voir les nains. Je n’en sais pas plus, dit Baba-Yaga, entre deux ronflements. Je me demandais si je n’avais pas eu la main trop lourde sur la datura… - Combien étaient-ils en arrivant chez les nains ? - Un farfadet et un korrigan. - Et une fée sylvestre ? N’y avait-il pas une fée sylvestre avec eux ? - Pas de fée sylvestre. Pas d’elfe. La fée a été faite prisonnière. Mais elle a fait preuve de trop de témérité en essayant de convaincre les gnomes et ils l’ont enfermée dans les caves obscures. L’elfe a essayé de la sauver. Mais quiconque pénètre les caves des gnomes est perdu. L’elfe n’avait aucune chance de la retrouver. La fée est perdue, perdue… Baba-Yaga replongea dans son sommeil comateux. J’avais entendu parler des caves obscures des gnomes. Elles communiquaient directement avec l’antre de Zmeï et étaient embrumées des flammes et des poisons que dégageait le dragon. Mes yeux s’embuèrent. Même si j’avais déjà émis l’hypothèse que je ne retrouverais pas ma sœur, après ma première conversation avec la sorcière, je crois qu’au fond de moi, je n’avais pas tout à fait perdu espoir… Mais si la fée éclaireur avait disparu, cela signifiait aussi qu’une autre fée sylvestre devait prendre sa place. Je refoulai mes larmes et dis d’une voix forte : - Et l’elfe ? Est-ce que l’elfe a rejoint les autres éclaireurs ? - Je ne sais pas, dit Baba-Yaga d’une voix hésitante. Baba-Yaga ne m’était plus d’aucune utilité, elle m’avait dit tout ce qu’elle savait. Je voletai jusqu’à la cage pour récupérer mon manteau et mon panier et sortis de la maison en veillant à ce qu’aucun corbeau ne m’observe. Il me fallait me cacher à présent. Me cacher pour attendre Lullaby qui devait sans doute marcher vers l’izba de Baba-Yaga pour m’y retrouver. J’avais foi, je savais qu’il ne m’abandonnerait pas. Nous étions liés par je ne savais quel lien magique.
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