Je me sentais un peu seul dans ce grand seau tout sale. Cela sentait mauvais, c’était rempli d’un tas d’immondices. C’était à l’aube, avant que tout frémissement du réveil ne nous parvienne que nous avions achevé les préparatifs de notre départ. Nos besaces avaient été sanglées au plus près de notre dos pour ne pas ballotter et alerter les géants par des bruits suspects. Les dernières recommandations faites, Boon s’était envolé pour nous déposer dans le seau. J’avais été le premier car le plus facile à transporter. J’attendais maintenant que Boon revienne avec Baltyr. Boon, plus téméraire que jamais, avait décidé d’ouvrir la voie en volant et avait décrété qu’il nous attendrait près du tas de compost au cas où… - Au cas où ? m’étais-je exclamé. - Etre prudents, houp ! Cela ne m’avait guère rassuré, croyez-moi ! Une fois cachés sous les trognons de pomme et les pelures de pommes de terre, grelottants dans le froid matin d’hiver, nous avions attendu le géant qui sortait les déchets. Ce ne fut pas une longue attente. Sans ménagement, il empoigna le seau, prit, dans son autre main, le seau qu’il était chargé de rempli d’eau claire et, leur faisant prendre un ballant insouciant qui nous donna la nausée, se mit en route. Baltyr, malmené par le mouvement de balancier du seau, se tenait les côtes de son bras valide, grimaçant dans son silence déterminé. Les escaliers furent vite avalés et la pâle lumière du soleil perça à travers le torchon. Un choc sourd succéda à la houle et nous comprîmes que l’autre seau venait d’être posé à terre. Notre cachette bascula et tout le contenu du seau finit… à l’eau ! Une série de vociférations se fit entendre et j’eus à peine le temps, occupé que j’étais à ne pas me noyer au beau milieu des restes de dîner, de comprendre que cet imbécile de géant avait confondu le seau à remplir d’eau et le seau à vider ! Une grosse main se mit à ramasser prestement les déchets qui flottaient et je dus plonger sous l’eau pour ne pas être pris avec les restes. La morsure cruelle de l’eau glacée me tétanisa un instant et je luttai contre l’engourdissement qui me paralysait. J’eus soudain peur pour Baltyr que je n’avais vu nulle part et je craignis que ses blessures ne l’handicapent dans l’eau. Il n’était pas prévu que nous nagions ! J’émergeai à la surface à bout de souffle et n’eus que je temps de replonger avant d’être empoigné avec les pelures de pommes de terre. Le trou d’eau à l’échelle des géants était pour nous, lutins, un vaste lac et je priai Svarog pour retrouver Baltyr bien vite. Malgré le froid, je plongeai encore et encore, éperdu, de plus en plus inquiet, affolé par l’idée que Baltyr soit entraîné inexorablement vers le fond. Une énorme masse sombre s’approcha de la surface de l’eau et j’eus peur d’être pris. Hélas, à court d’oxygène, je dus remonter à la surface et me retrouvai nez à nez avec le plus gros, le plus grand cheval que j’avais jamais vu. Et, saisi de terreur, je ne me rendis même pas compte que le géant s’éloignait, de sa démarche lourde. Je regardai fixement les naseaux du gros cheval frémir, je l’entendis renâcler et ce n’est qu’à ce moment précis que je vis une petite lueur bleue dans sa crinière : - Houp, Lullaby, pas danger, grimpe, viens ! - Non, pas question, Baltyr est encore dans l’eau ! - Viens, vite ! Boon me saisit la main et me fit sortir de l’eau malgré moi. Une fois installé au sommet du crâne du gros cheval, je retrouvai Baltyr, qui tremblait de froid et s’était emmitouflé dans la crinière tiède du cheval. Je ne comprenais plus rien. - Gros chat a parlé à son ami, houp, le cheval. Chat savait que nous avions longue route et mission urgente. Nous a trouvé taxi confortable , houp ! Il faut vite aller dans sacoche de voyage, avant cavalier arriver. Vite ! Cheval partir très bientôt ! Mes yeux s’écarquillèrent ! C’était une chance insolente ! Ainsi, nous n’aurions pas à marcher toute cette longue route, ainsi, nous irions encore plus vite qu’à l’aller, ainsi, Baltyr n’aurait pas à souffrir ! Et comble de chance, c’est Boon qui transportait nos sacs et ils n’étaient donc pas mouillés ! Boon nous transporta bien vite dans les sacoches bien garnies du géant, juste à temps car quelque chose tapa contre les besaces sitôt que nous fûmes installés et le cheval se mit à trotter. - Nous ne pourrons donc pas remercier le gros chat ? murmurai-je. - Chat récompensé. Ai fait tomber d’une étagère gros morceau de hareng prévu pour menu des géants. Et pas grondé, gros chat quittait aussi la cité, il avait assez mauvais traitement. Cela me fit sourire et me soulagea. - Chat m’a demandé de te transmettre message : « Dis-lui que Baïun le salue ! ». Je compris alors tout le sens de l’aide que le gros chat hirsute nous avait donnée. Je me rendais compte que tout avait un sens, que chacun de mes gestes aurait des retombées et que rien n’était acte gratuit. Mais à ce moment-là, une grande douleur traversa mon cœur, comme si je venais de perdre un ami très cher. Je me pliai en deux, serrant ma poitrine. - Qu’est-ce que tu as, ami ? me demanda Baltyr. - Je crois que Cléia a des ennuis, j’espère que ce cheval galope vite, dis-je en hoquetant sous la douleur et le poids qui comprimaient mon cœur. Je sortis ma boule à rêve et l’interrogeai. Elle me montra Cléia en larmes et, étrangement, en lisière de forêt, seule. Ainsi donc, elle avait réussi à se libérer de Baba-Yaga ! Mais que lui était-il arrivé ? Que s’était-il passé ? Je priais la Dame des Bois de prendre soin d’elle en attendant que je puisse la consoler moi-même.
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