Baltyr, mal à l’aise, baissait obstinément la tête. La Dame des Bois me regardait avec bonté et compassion. Et elle eut alors un geste extraordinaire : elle s’approcha de moi, s’agenouilla, sa belle robe immaculée s’étalant en corolle dans l’herbe et la poussière, et me prit dans ses bras, maîtrisant mon désir de m’éloigner d’elle, en un geste d’une infinie tendresse. Peu à peu, mon âme se délia et je fus prêt à l’écouter : - Lullaby, mon fils, il n’était pas prévu que notre monde bascule dans la folie ni que tu aies un tel apprentissage. Ce n’est pas ce que je te réservais le jour de ta naissance en Féerie. Mais le Versant est en marche, Zmeï se réveille et tu as dû déjà endurer bien trop de peines. Si tu as besoin d’un coupable, j’accepte ce fardeau et je te demande pardon de n’être qu’un esprit de la forêt. La boule à rêve que je t’ai offerte n’était pas destinée à t’armer. Elle n’est qu’un lien avec les terres sacrées et n’a que le pouvoir de t’aider, avec tes connaissances et celles de tes amis, à trouver une solution aux problèmes auxquels tu te vois confronté. Mais elle n’est ni un jouet, ni un instrument de guerre. Les êtres magiques ne savent pas fabriquer de tels objets. Enfin, ne te laisse pas envahir par la culpabilité. Tu as su te montrer digne de ton rang et de ton clan. Tu as su admettre tes erreurs et te corriger. Tu as grandi. Et tu as fait ce que tu as pu pour protéger les tiens. Ton frère Baltyr et toi n’allez certainement pas avoir le même destin que les autres Domovoys. Il vous faudra rester unis et vous épauler car votre force réside essentiellement en vous. C’est cette union, l’union des êtres magiques, qui vous gardera dans ce monde et vous guidera. Boon n’est pas mort. Féerie le gardera en son sein pour le bercer. La mort n’est pas l’unique vérité… A présent, je baissai la tête humblement. Toute trace de hargne avait disparu et bien que je ne comprenne pas très bien le discours très imagé de la Dame des Bois concernant Boon, j’acceptai sans l’admettre toutefois, la disparition de mon cher ami. La Dame posa un baiser sur mon front et se releva, négligeant les taches qui maculaient sa belle robe, puis elle se dirigea vers Baltyr : - Baltyr, tu as bien souffert toi aussi… mais tu sais quel est ton chemin… Baltyr hocha la tête en silence. - Prends bien soin de ton jeune frère. Elle baisa le front de Baltyr puis s’exprima une dernière fois: - Le peuple des fées est avec vous et a foi en vous. Enfin, mes enfants, dites à Cléia qu’elle manque terriblement à son clan… La lumière redevint éblouissante, la dame posa ses mains sur notre front comme pour nous bénir et disparut. Quand nos yeux retrouvèrent le contour de ce qui nous entourait, il ne restait plus que la boule à rêve au milieu du feu et les cailloux. Baltyr, souriant, porta la main au bandage qu’il avait encore sur les côtes et se mit à le défaire lentement. Je restai dubitatif un instant et levai mes mains pour l’observer : il n’y avait plus une seule trace de brûlure. Je tâtai mon visage et m’aperçus qu’il était complètement guéri. Baltyr, quant à lui, fit jouer l’articulation de son poignet avec aisance. La Dame des Bois nous avait guéris ! Puis mon ami se baissa devant le feu, y plongea les deux mains et attrapa ma boule à rêves avant de me la tendre : - Prends, elle n’est pas chaude… Et en effet, elle ne l’était pas. Devant mon air ébahi, il ajouta : - Je ne crains pas le feu, je sais lui parler. C’est le cadeau que la Dame des Bois m’a fait le jour de ma naissance, il y a presque 100 ans. Allez, Lullaby, ne traînons pas, le temps doit paraître long à ta fée ! Mais je ne bougeai pas car quelque chose me chiffonnait : - Elle a dit que nous étions frères… - Oui, c’est bien le cas… Mais qu’est ce que cela change en définitive ? Je suppose que Maître Pipenbois ne nous l’a pas dit pour que nous apprenions à nous apprécier au delà des liens de la famille… Admettons qu’il ne s’est pas trompé ! En effet, cela ne changeait pas grand chose… J’avais dû aller contre mon aversion première pour l’usurpateur de l’identité de Baltyr et aller sauver un être que je détestais, tout cela pour me rendre compte que parfois, les apparences étaient trompeuses… Etait-ce les intentions de notre Maître ? En tout cas, le résultat était bien là et oui, j’appréciais beaucoup Baltyr. Mais j’avais également appris que les liens se tissaient parfois autrement et qu’ils n’en étaient pas pour autant moins fort… Mon cœur était plein du chagrin de savoir que je ne verrais plus jamais Boon. Lui n’était pas mon frère et pourtant, c’était tout comme, et je venais de perdre une part de moi. - Nous ne laisserons pas Boon tomber dans l’oubli… dit Baltyr. Je hochai la tête, réunis mes affaires, éteignis le feu et me mis en marche vers la forêt qui s’ouvrait devant nous. - Allons-y, Baltyr. J’ai hâte de retrouver Cléia. Elle me manque beaucoup. Et épaule contre épaule, lourds de peine mais frères à présent, nous nous enfonçâmes dans la forêt.
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