Je dois dire également que depuis que j’avais quitté l’antre des géants des sables, j’étais troublé dès que je pensais à Cléia. Je suppose que la savoir en danger devait contribuer à ce trouble mais j’étais convaincu qu’il n’y avait pas que cela au fond, sans savoir nommer ce que je ressentais. La seule chose que je savais tout au fond de moi, c’était que si par malheur, il arrivait quelque chose à ma fée, je regretterais toute ma vie de ne pas lui avoir dit combien la place qu’elle tenait dans mon cœur était grande… La forêt devint moins dense et la neige refit son apparition au pied des arbres. Après un bout de chemin, l’Esprit s’immobilisa sur une branche. Perdus dans nos pensées ou dans l’angoisse de perdre l’Esprit, nous n’avions pas vu que nous approchions du chêne le plus grand et le plus majestueux de tout le royaume de Féerie ! C’était un chêne au tronc noueux, immense, aux ramages compliqués, constellé de minuscules lumières, des Esprits, à n’en pas douter ! Il se balançait comme bercé par la brise, mu d’une vie propre. L’énorme tronc était parsemé de toutes petites maisons, mignonnes répliques des chalets de montagnes, reliés par de charmants ponts suspendus. Le froid avait décliné et une douce brise nous réchauffa les joues. Au pied de l’arbre, il n’y avait même pas de neige et de petites fleurs parsemaient une herbe verdoyante. Le chêne lui-même était couvert de feuilles d’un vert profond et baignait dans une lumière dorée qui ne semblait venir de nulle part. Nous restâmes immobiles à contempler ce lieu de magie. Je n’avais pas vu d’endroit aussi enchanteur depuis la clairière aux fées et j’avouerais même que le royaume des Invisibles était encore plus étourdissant de beauté. La coccinelle nous fit signe d’approcher. A hauteur de notre nez, nous vîmes un minuscule balcon sculpté dans l’écorce de l’arbre et sur lequel se tenait un Esprit qui ressemblait à un tout petit lys des bois, une couronne au front. - Lullaby, rends allégeance, me souffla Baltyr, déjà un genou à terre, main sur le cœur, nuque baissée. Je m’exécutai bien vite en l’imitant en tout point. Quelque chose frôla ma joue. C’était la coccinelle, escortée de deux bourdons qui portaient chacun une grosse baie mauve. Elle nous fit signe de prendre chacun une baie et de l’avaler. Nous obéîmes sans comprendre. Pendant quelques secondes, rien ne se passa mais soudain, mes oreilles résonnèrent de bruits et de murmures, comme si je m’étais trouvé tout à coup dans une salle d’opéra remplies d’un public impatient que le spectacle commence. Cela me désorienta un instant et je restai, comme mon frère hébété. J’entendis quelques bribes parmi le brouhaha : - Ils ont avalé la baie de résonance… - Silence, ils vont vous entendre ! - Regardez comme ils sont bizarrement faits… - Chut, chut, le héraut va parler !! - Emissaires Domovoys, bienvenue dans la Cité des Invisibles ! La Reine est honorée de recevoir de tels hôtes, annonça, d’une voix claire et forte une sorte de héraut-grillon. Le tumulte s’atténua pour ne plus devenir qu’un léger murmure. Pour ma part, désemparé, je me tournai vers Baltyr, priant Svarog qu’il sache quelle était ici l’étiquette. - Ce sont les émissaires qui doivent se montrer honorés de la faveur qui leur est faire. Paix à la Reine des Invisibles ! Paix aux Esprits de la forêt profonde ! La Reine émit une stridulation déconcertante et j’eus peur que mon frère n’ait commis un impair. - La Reine est heureuse que le guetteur vous ait trouvés ! Vous étiez attendus avec impatience et langueur. Vous resterez ses invités aussi longtemps que vous le désirerez, traduisit le héraut.
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