C’était une soirée d’automne froide et brumeuse, le vent soufflait par rafales apportant un petit crachin insidieux mais Philippe se sentait heureux. Philippe c’est mon père et à l’époque il était officier dans la marine marchande et naviguait pour un armateur grec. Le navire avait mouillé la veille à Saint Nazaire revenant de Madagascar et après trois mois en mer il déambulait sur le quai retrouvant avec ravissement la sensation de la terre ferme sous ses pieds. Tout d’un coup il s’arrêta, percevant malgré le hurlement du vent, des gémissements pitoyables et désespérés. Devant lui se trouvait un cargo, chargé d’épices et de soieries, venant tout droit de Macao, et arrivé le matin même. Sur le pont il distingua deux marins portant une petite chose gigotante qui se débattait en pleurant. Avant même qu’il puisse intervenir ils la précipitèrent par-dessus bord ! Philippe se débarrassa prestement de ses chaussures et de son blazer et hop plongea dans l’eau sale et glacée du port. Par une chance qu’il ne s’expliqua jamais par la suite – peut-être un petit miracle - il mis la main immédiatement sur le petit chiot qui surnageait avec difficulté ! Il regagna péniblement le quai car le froid et ses vêtements gorgés d’eau entravaient singulièrement ses mouvements. Sans prendre le temps de remettre ses chaussures (qu’il ne récupéra jamais !) il courut jusqu’à sa cabine mettre à l’abri le petit chien. Il appela Max son ami, médecin du bord, qui vint prestement examiner la jolie trouvaille. - Pauvre petit il a une patte arrière cassée, on va lui mettre une attelle ! - Ok, rien d’autre ? - Non il a l’air robuste, bien nourri et séché, il s’en sortira ! Tu as fait une belle pêche mon ami !! - Et oui maintenant il faut lui donner un nom. Que penses-tu d’Andusse ? Max éclata de rire car Andusse était le nom de leur armateur, et peu réputé pour son humour ! Andusse, le chien, devint très rapidement la mascotte de l’équipage et fit encore un voyage avec mon père ; mais un jour il l’amena à Paris et le présenta à mes grands parents. Là il y a eut entre Mamie et lui ce qu’on appelle volontiers un coup de foudre, immédiat et sans appel !! Amour et fidélité partagés pendant treize belles années et, comme il avait été la mascotte des marins, il devint celle du petit peuple de Montparnasse où mes grands parents tenaient une boulangerie pâtisserie. Il faut dire qu’à l’époque, dans les années soixante, c’était encore un quartier populaire à la gouaille chaleureuse ! Bien-sûr quand il est mort on a éprouvé un chagrin profond, mais ne dit t’on pas que quand un chien meurt une étoile s’allume au ciel ?
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