En classe avant six ans La création de « salles d’asile », dont la première s’ouvre à Paris en 1826, à l’initiative d’Émilie Mallet et de Jean-Denys Cochin, est une œuvre de bienfaisance destinée à pallier les conséquences de l’oisiveté sur les jeunes enfants dont les mères sont contraintes de travailler. La salle d’asile n’est pas seulement une garderie pour les enfants pauvres, de 3 à 6 ans, c’est aussi une classe dont les élèves, plusieurs centaines parfois, serrés les uns contre les autres sur des gradins, s’initient au catéchisme à l’aide d’images, à la lecture avec des planches murales, à l’écriture avec des ardoises, et au calcul grâce à des bouliers, selon des méthodes en partie inspirées de l’école mutuelle. Le service rendu par les salles d’asile devient vite, en ville, indispensable. En 1870, on en compte déjà plus de 4 000. Leur intégration à l’enseignement primaire, en 1881, sous le nom d’écoles « maternelles », est une reconnaissance de leur succès mais c’est aussi un risque de perdre leur spécificité au bénéfice d’exigences scolaires plus classiques. Le remaniement des classes (effectifs moins nombreux), un mobilier plus approprié (des tables au lieu de gradins), et l’importance accordée aux jeux, à l’instar des jardins d’enfants de Froebel, préservent l’originalité de la maternelle. Au XXe siècle, cette pédagogie spécifique est légitimée par les psychologues de l’enfance et plébiscitée par les parents. Depuis La Maison des enfants de Maria Montessori (traduit en 1919) et les travaux du Dr Ovide Decroly, connus dans les années 1930, le jeu éducatif individuel y occupe une place centrale. Lié d’abord à un programme précis d’acquisitions sensorielles et motrices, il tend ensuite à devenir aussi un moyen d’expression. Les parents adhèrent à cette pédagogie et apprécient le rôle de socialisation qu’assume l’école maternelle, plus problématique dans la grande ville contemporaine que naguère dans le milieu villageois. L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE À L’HEURE DE LA RÉNOVATION PÉDAGOGIQUE Les objectifs assignés à « l’école du peuple » depuis Ferry demeurent peu ou prou inchangés jusque vers 1950-1960. Si un nombre croissant d’écoliers accèdent à des formations primaires supérieures, ou même entrent en sixième, l’école primaire et son certificat d’études restent l’unique horizon de la plupart des enfants soumis à l’obligation scolaire. L’idée d’une « école unique » instaurant une réelle continuité entre l’enseignement primaire et celui des collèges et lycées, émise dès 1918, est pour longtemps encore un sujet de débats, dépourvu de conséquence pratique. À cette date, il est vrai, l’organisation pédagogique et matérielle préconisée depuis les années 1880 est loin encore d’être appliquée dans la totalité des 80 000 écoles de France. Plusieurs décennies sont nécessaires pour que l’obligation scolaire, étendue à quatorze ans par Jean Zay en 1936, soit totalement respectée. Les sanctions contre l’absentéisme prévues par la loi de 1946 sur les allocations familiales en témoignent. Parallèlement, la dotation des classes s’uniformise avec lenteur. En 1936, Jean Zay n’estime pas superflu de rappeler qu’il faut « des tables et sièges à dossier en nombre suffisant pour tous les élèves ». Il se prononce pour une classe type de quarante élèves (contre cinquante précédemment) et plaide en faveur du mobilier individuel tout en admettant que, à défaut, « on pourra prévoir des tables à deux places avec siège individuel et mobile ». Un règlement de 1950 prescrit à nouveau le mobilier individuel et tolère pareillement les pupitres biplaces en prenant acte de ce que « les écoles primaires sont hélas ! équipées – surtout dans les petites communes – de matériel vétuste, souvent en bois et composé trop fréquemment de tables avec bancs à six, huit ou même dix places ». En matière de pédagogie, la lente généralisation des méthodes reconnues, comme « l’enseignement par l’aspect » que recommandent les Instructions de 1923, l’emporte sur la recherche de l’innovation, alors plus soutenue à l’école maternelle. Pour les adeptes de l’Éducation nouvelle et des méthodes actives, la classe Ferry offre déjà l’image d’une tradition autoritaire et révolue de l’enseignement. La description qu’en donne Célestin Freinet, en 1946, dans L’École moderne française, est un réquisitoire sans appel : « L’ameublement de l’École traditionnelle est [...] celui d’un auditorium scriptorium : chaire surélevée, unique tableau à l’usage exclusif de l’exposé magistral ou des interrogations – bancs pupitres pour enfants assis écrivant ou lisant (à l’exclusion de toute autre activité, sauf clandestines) ; absence de tout espace libre dont l’utilisation n’est nullement prévue dans l’organisation pédagogique, meuble bibliothèque et compendium scientifique soigneusement fermés, à l’abri de la poussière et des mains indiscrètes. » Dans l’immédiat, les pédagogies en rupture avec le « système » restent confinées dans les mouvements pédagogiques. Un nouveau contexte apparaît avec les réformes de structure mises en œuvre au cours des décennies 1960 et 1970, depuis l’extension de la scolarité obligatoire à seize ans (1959) jusqu’à la loi Haby (1975) instaurant le collège unique. Palier d’accès au collège, l’école élémentaire n’est plus seule en charge d’une partie importante de la jeunesse. Son contrat s’est assoupli. Cette évolution s’accompagne d’une plus large ouverture aux méthodes actives. En présentant les nouvelles orientations ministérielles, une circulaire de 1973 proclame qu’il « était nécessaire de s’interroger sur l’aménagement de l’espace de la classe pour la rendre mieux adaptée aux objectifs de la rénovation pédagogique » ; et que « l’organisation du tiers-temps pédagogique, la part prise par les activités d’éveil et les activités physiques, [...] la recherche d’un enseignement par équipe de maîtres, [...] la prise en charge du travail individuel de l’élève [...] sont des réalités qui conduisent à prévoir des aires de travail pour des groupes de tailles diverses, [...] une salle de travail pour les maîtres appelés à se concerter, un centre documentaire, car le maître cesse d’être la seule “ressource” de l’enfant, [et] des postes de travail individuel ». L’impact de ces directives nouvelles est loin d’avoir été uniforme. Certaines équipes en ont exploité toutes les possibilités, notamment dans le cadre des « écoles ouvertes » ; d’autres ont opéré, quelquefois empiriquement, les synthèses qui leur semblaient appropriées entre l’héritage et les propositions nouvelles. En la matière, le débat n’est pas clos, ni au sein ni à l’extérieur de l’institution. L’évolution récente des technologies éducatives y intègre de nouveaux paramètres toujours susceptibles d’en remettre en cause les conclusions provisoires. Ainsi, la diffusion de l’outil informatique, la question de son insertion matérielle et méthodologique dans l’école et dans la classe sont de nature à replacer l’organisation de l’espace scolaire au premier plan de la réflexion pédagogique...... ( fin.....)
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