JULES FERRY ET LES PETITES ÉCOLES DE LA RÉPUBLIQUE Aux yeux des républicains, qui accèdent durablement au pouvoir en 1879, après l’épisode réactionnaire de l’Ordre moral, la souveraineté populaire appelle un développement rapide de l’instruction. En démocratie, le citoyen doit être un homme éclairé. Son émancipation implique, de surcroît, que l’école elle-même s’émancipe de la tutelle de l’Église catholique dont la doctrine officielle, énoncée par Pie IX, combat les principes de 1789 et la philosophie des Droits de l’Homme. La priorité accordée à l’éducation obéit enfin à un impératif patriotique : la débâcle de 1870 n’a-t-elle pas, en effet, apporté la preuve de la supériorité de l’instituteur prussien ? En une décennie, marquée par la forte personnalité de Jules Ferry, tour à tour ministre de l’Instruction publique et président du Conseil, l’enseignement primaire est profondément remanié. En juin 1881, la question de la gratuité des écoles primaires publiques, dont bénéficiaient déjà près de 60 % des élèves, est définitivement réglée. Plus âprement débattue, la loi du 28 mars 1882 rend obligatoire l’instruction élémentaire et instaure la laïcité de l’enseignement dispensé dans les écoles publiques. En classe, la morale et l’instruction civique remplacent donc la prière et le catéchisme. À partir de 1886, le corps enseignant primaire public est également laïcisé. La multiplication des écoles normales, grâce à la loi Paul Bert (1879), contribue à la relève des congréganistes par des laïcs, particulièrement dans les écoles publiques de filles où les sœurs accueillaient encore, en 1880, autant d’écolières que les maîtresses laïques. Dès lors, l’enseignement confessionnel se replie vers les écoles privées qui accueillent, vers 1900, près d’un quart des élèves. L’élan nouveau donné par l’État républicain porte ses fruits. De 1880 à 1900, l’école élémentaire gagne près de 700 000 inscrits, atteignant la quasi-totalité des enfants scolarisables. En outre, la fréquentation s’améliore et l’absentéisme saisonnier tend à se résorber. L’obligation légale n’est d’ailleurs pas seule responsable de ce progrès qualitatif, grandement facilité par la croyance accrue des familles en l’utilité de l’instruction primaire. LA COMMUNALE : UN ESPACE FONCTIONNEL ET SYMBOLIQUE Les progrès de la fréquentation permettent de généraliser des formes d’organisation pédagogique qui ont déjà fait leurs preuves dans les grandes villes. Dès 1868, Octave Gréard, alors directeur de l’enseignement primaire de la Seine, avait imposé aux écoles de Paris une division en trois cours : élémentaire, moyen et supérieur. En 1882, Ferry étend ce modèle à tout le pays. La classe unique cesse alors d’être la référence implicite de la réflexion pédagogique, même si elle reste pour longtemps la réalité la plus courante, du fait de la dispersion de l’habitat et de la priorité donnée à la construction d’écoles distinctes pour les filles et les garçons dans les villages. Unique ou non, la classe, pour être pédagogiquement efficace, ne se conçoit plus sans un matériel, un mobilier et un agencement de l’espace tout à fait spécifiques. Le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, proche collaborateur de Ferry, dresse ainsi la liste type du matériel pédagogique approprié : des tableaux muraux pour la lecture et l’écriture, un grand tableau ardoisé d’au moins un mètre carré pour chaque cours ou division, un boulier compteur, un nécessaire métrique ou un tableau mural des poids et mesures, des objets pour le dessin géométrique au tableau noir (règle, équerre, compas, rapporteur), un globe terrestre, les cartes murales de la Terre, de l’Europe et de la France, une collection d’images pour l’enseignement de l’histoire, un appareil pour projections lumineuses, des instruments simples pour les expériences de physique et de chimie, des collections d’histoire naturelle, un diapason ou un petit harmonium, un portique et ses agrès, enfin les outils usuels pour les travaux manuels. Réglementairement (depuis 1882), la salle de classe doit avoir une forme rectangulaire, un sol « parqueté en bois dur », une hauteur sous plafond d’au moins quatre mètres, ne pas excéder cinquante places et offrir une superficie minimale de 1,25 m2 par élève. Au large pupitre de quatre ou six places, les textes recommandent de substituer, faute de mieux, le pupitre biplace. Ce dernier, moins propice aux « contagions » et plus aisément adaptable à la taille des enfants, facilite en outre les allées et venues du maître et permet une répartition plus méthodique des élèves selon leur niveau et leur mérite. L’effort financier sans précédent, alors consenti par l’État et les communes en faveur des maisons d’école, aide à la diffusion de ces nouveaux standards. Entre 1878, date de la création de la Caisse des écoles, et 1895, plus de 15 000 écoles sont ainsi construites et 30 000 autres rénovées. Ce vaste chantier suscite une importante réflexion architecturale et réglementaire qui prend en compte les prescriptions récentes des hygiénistes. Il en résulte, quelles qu’en soient les variantes, un modèle de bâtiment encore familier à nos yeux : un espace clos, à l’écart de la rue, avec sa cour, son préau, ses lieux d’aisance, le logement de l’instituteur et les salles de classe, bien éclairées, où les rangées de pupitres s’ordonnent soigneusement au pied de l’estrade magistrale. Dans l’espace de la classe, aucun emblème n’est formellement prescrit. Toutefois, à l’initiative des communes, le « temple du savoir » s’orne fréquemment d’un buste de Marianne, qui prend la relève du crucifix et du buste du roi ou de l’empereur régnant. Au cœur du village, la nouvelle école, souvent associée à la mairie, a également valeur de symbole. Avec son architecture soignée, aisément repérable, elle est un monument à la gloire de la République et de la Science. (à suivre......)
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