Le lendemain matin, alors que je n’avais pu dormir que par bribes, quelque chose vint me chatouiller le nez. Comme à son habitude, Cléia avait été très matinale. Je le compris quand je vis à terre de quoi nous faire un petit déjeuner frugal. Je ne pipai mot sur l’épisode de la nuit et c’est ma fée qui en parla la première. - Je voulais… euh… te demander pardon pour…pour hier soir… C’était très gentil de penser à moi en me confectionnant un abri et… on y dort bien. Devant mon air goguenard, elle prit un petit air hautain et ajouta bien vite : - Il n’empêche que je vais y apporter quelques petites modifications pendant que tu prends ton petit déjeuner. C’est plein de courants d’air et peu confortable.
Elle était vraiment mignonne ! Je lui souris et l’observai pendant que je me restaurais : Elle furetait un peu partout, et revenait avec des plumes que je la soupçonnais d’avoir subtilisé dans des nids voisins, des brindilles, des plantes aussi qui dégageaient une forte odeur de menthe, sans en être vraiment. Une fois mon repas terminé, je récupérai le mouchoir que j’avais mis à l’intérieur du nid et le coupai en deux parties inégales. Je pliai la plus grande partie en deux et, avec une épine d’une sorte de cade et des herbes souples, je cousis deux bords. Par le troisième, j’introduisis une partie des plumes, des herbes odorantes que Cléia avait collectées ainsi que de petites graines que j’avais ramassées le long du chemin, afin d’en faire un matelas. Je renouvelais mon exercice de couture (apparemment, je n’excellais pas dans ce domaine…) sur le troisième côté et laissai le matelas au milieu des trophées de ma petite fée.
Lorsqu’elle revint, elle s’arrêta net dans les airs puis se rua sur moi. Je me dis que j’allais encore avoir droit à une grosse colère mais pas du tout : Ses yeux d’or brillaient étrangement et, sans un mot, elle déposa sur ma joue un petit baiser plus léger que le contact d’une coccinelle, et cela me combla de joie. Elle essaya d’emporter le matelas pour le ranger dans sa nouvelle chambre mais il fallut que je l’aide car c’était bien trop lourd et volumineux pour elle. Elle tapota le matelas pour qu’il épouse parfaitement les formes du nid, étendit la couverture improvisée et termina son ouvrage en calfeutrant les espaces entre les tiges tressées avec de la boue mêlée d’herbes sèches. Elle fit enfin une tresse d’herbes qu’elle noua sur une extrémité et qu’elle passa dans la porte pour en faire une sorte de bouton de porte à l’extérieur. A l’intérieur, elle avait inséré dans la tresse un minuscule petit bâton qui lui servirait de loquet pendant la nuit. C’était très réussi. Sincèrement, Cléia allait bien mieux dormir que moi pendant ce voyage ! Une fois tout cela terminé, je pris le petit panier et le suspendis au devant de ma besace. Ainsi, si Cléia se trouvait fatiguée pendant le trajet, elle pourrait se reposer bien au chaud sans que cela ne freine ma marche.
Vous allez me demander pourquoi je prends tant soin de Cléia et pourquoi ses réactions me touchent autant. Très honnêtement, je ne saurais pas trop vous répondre… Probablement parce que je lui suis reconnaissant d’être venue avec moi ; ensuite, parce que je crois que j’aime faire plaisir… Je me demande s’il n’y a pas un peu de ça dans ma mission : faire du bien autour de moi. Et puis, j’aime bien Luciole. J’aime son côté faussement belliqueux, son petit air mutin, sa générosité un peu bourrue… Je pense que cela pourrait m’être une merveilleuse amie. Enfin… Le temps en décidera mieux que moi !
Nous nous remîmes en route. Et très vite, je compris les craintes de Cléia : la lisière de la forêt que nous franchîmes bien vite, surplombait une étendue infinie, plate, sèche, découverte, qui se terminait au loin, par des montagnes. Oh, c’était un paysage sublime, mais si j’avais pu éviter de le traverser en droite ligne, même si cela avait rallongé considérablement le trajet, je l’aurais fait sans hésiter. Hélas, Luciole me fit perdre tout espoir d’une alternative. - Voilà… Il va nous falloir traverser tout cela, franchir les montagnes. La forêt dans laquelle habite Maître Pipenbois se trouve de l’autre côté de ces montagnes.
Je déglutis difficilement et, faussement enjoué, submergé d’inquiétude et profondément reconnaissant à la fée de bien vouloir laisser la paix de ses bois pour m’accompagner, je lançai un « en avant ! » énergique qui ne trompa personne. Les difficultés commencèrent tout de suite : il nous fallait descendre du surplomb duquel la forêt dominait pour rejoindre le vaste désert qui s’étalait en contrebas. Je recommandai à Luciole de m’attendre en bas et j’entrepris la descente. Si ce n’était pas à pic, c’était tout de même fort escarpé et accidenté. Les pierres roulaient sous mes pieds et je risquais de tomber à chaque pas. Mais je dois dire que je me débrouillais plutôt bien. Je me tenais tant bien que mal aux branches et descendais, très lentement. Il y eut un endroit où je ne trouvai plus de branches pour m’accrocher. J’étais arrivé à la limite de la forêt et, abruptement, la roche et le sable s’y substituèrent.
Peu rassuré, je fis un pas de plus mais cette fois, mon pied glissa sur un rocher érodé et lisse et je tombai. J’entendis un petit cri d’effroi en dessous de moi mais je n’eus pas le loisir de m’y attarder. Je m’agrippai à tout ce qui passait sous mes doigts, malgré les pierres qui roulaient et me tombaient sur la figure. Je réussis à prendre prise mais je tombai à nouveau encore plus bas, à demi assommé par de gros cailloux. Je tombai, et je pensai que cette chute n’en finirait pas, que je n’en sortirais pas vivant, que mon histoire s’arrêterait là. Tout à coup, j’eus l’impression que le sol se précipitait vers moi, et je m’écrasai brutalement contre lui. Le néant envahit ma tête.
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