Et alors que je m’apprêtais à demander quel traitement Baïun entendait lui donner, Pipenbois me donna un grand coup de coude et me demanda de l’accompagner dehors. Au passage, il prit sur la table une miche de pain et un gros fromage tout rond, sur le bord de la cheminée une longue pipe en bois et un gros pot en terre cuite enroulé dans un torchon. - Allez, fils, viens te reposer. Nous avons à discuter. Il me poussa vers la porte et nous nous assîmes l’un à côté de l’autre sur un banc en bois qui était adossé à la chaumière. Il commença par me donner de grosses tranches de pain et du fromage. Et pendant que je mangeais, il ouvrit le pot en terre et une odeur doucereuse s’exhala. Maître Pipenbois plongea sa main dans le pot. Il en sortit les doigts oints d’un onguent qu’il appliqua sur mes plaies. Il commença par ma tempe, enduit mes égratignures puis examina la jambe qui me faisait souffrir avant de l’en badigeonner d’une couche généreuse de pommade. Je dois dire que cela piquait beaucoup et il dut me tenir fermement la jambe pour pouvoir terminer ses soins. C’était bien moins agréable que les remèdes de Cléia ! Une fois soigné, Pipenbois s’essuya les mains sur le torchon qui entourait le pot, reprit sa pipe qu’il avait posée sur le banc, l’alluma, et soupira en s’adossant au mur. Il ferma les yeux un moment et quand il les rouvrit, il me dit gravement : - Je t’écoute maintenant. Que veux-tu savoir ? - Qu’est-il arrivé à Cléia ? - Les fées sylvestres sont très attachées à leur forêt. D’habitude, elles ne la quittent jamais. Ta fée, en te suivant, ne savait pas à quoi elle allait s’exposer. En perdant le contact de ses sœurs, de sa terre, elle a été affaiblie. - Mais le chat a dit qu’elles étaient immortelles… - « Le chat » comme tu dis, a raison. Mais elles souffrent beaucoup si elles s’éloignent de leur forêt de naissance. - Alors, il faut la rendre à la Dame des Bois, m’exclamai-je. Je ne veux pas qu’elle souffre ! - Cléia peut vivre ici, Lullaby. Elle a juste pâti du passage de la forêt au désert. Un frêle papillon aurait tout autant souffert durant ce voyage. C’est un mal temporaire. - Que lui raconte le chat ? - Ce chat n’est pas ordinaire. Baïun connaît des histoires qui guérissent mais je ne sais pas ce qu’elles racontent. C’est son secret. Mais je t’assure qu’il la guérira ! - Si je peux me permettre, Maître, dites-moi… Que suis-je venu faire ici ? - Par les crocs de Zmeï ! Tu es venu apprendre ! - Apprendre ? Mais quoi ? - Tout ce que tu pourras ! Même les lutins vont à l’ école ! Qu’en auriez-vous pensé ? L’école… Auriez-vous apprécié ? Oh, ne mentez pas ! Et bien oui, je n’en avais aucune envie, j’aurais préféré visiter le vaste monde. Mais la Dame des Bois m’avait confié à ce vieux Pipenbois, je ne pouvais pas me désister… Alors que j’étais tout à mes réflexions, on entendit Rrrrrrrr. Je baissai la tête et vit Baïun sortir de la maison de sa démarche chaloupée. - Sois tranquille, Lutin, ta fée dort paisiblement. - J’aimerais bien savoir… - … ce que je lui ai raconté qui a rendu son sommeil aussi lisse que la surface d’un lac ? Je fis oui de la tête. - Et bien, rrrrrrrrr, je lui ai raconté le murmure des esprits dans les branches des arbres, la course folle des feuilles d’automne, les chuchotis de la terre qui s’éveille au printemps, les danses des fées. Je lui ai raconté l’ondoiement scintillant des rivières, la vie qui relève les tiges des fleurs naissantes. Je lui ai raconté la caresse de l’air, l’odeur des sous-bois, le gazouillis des oiseaux le matin au réveil… Et elle a fini par se rappeler de tout ce qu’elle avait oublié dans la plaine froide et morne. Elle a fini par se rappeler quel était le but de son voyage aussi… - Le but… ? - Miaow, elle te dira quand elle se sentira prête. Pour l’heure, laisse-la dormir. Baïun s’étira lascivement et fit ses griffes avant d’ajouter : Il se fait tard, Messieurs, je vais prendre congé de vous. Et sans attendre notre réponse, il s’en retourna dans la chaumière. Maître Pipenbois et moi restâmes silencieux un moment puis nous allâmes nous aussi nous coucher. Malgré l’insistance de Pipenbois pour que j’aille me reposer dans une des chambres de sa petite maison, je refusai de quitter Cléia. Les marmites fumantes et la tarte aux pommes ne me tentaient pas plus. Je tombais de fatigue. Il finit par céder et m’installa un large fauteuil à dosserets devant la cheminée dans lequel j’eus tôt fait de m’endormir. La lueur dorée de Cléia, bien que faible, l’entourait à nouveau de son halo, je pouvais donc céder au sommeil. Et demain, ah, demain…
Vous n’avez pas entendu un bruit ? Oh, non ! Mon pot de crème s’est renversé ! J’ai dû mal le… Oh, c’est encore toi ! Qui ? Le Bouka pardi ! Sors de chez moi ! File, tu m’entends ! Oh, mais ! Bon, écoutez, je vais devoir vous abandonner, j’ai ce petit polisson à chasser ! Oui, oui, c’est ça, les amis, revenez un autre soir…Viens par là ! Viens tâter de la lumière de ma lampe ! Ah, tu fais moins le fier, hein !
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