Il était une fois, ou peut-être deux, car l’histoire toujours se répète, une murène. Avec son corps long et agile, elle serpentait à travers les algues. Avec son cerveau simple et primitif, elle ne réfléchissait jamais
Jamais elle n’avait pensé par exemple que la terre pût exister. Pour elle n’existait que la mer. Il y avait ceux qui vivait dedans, et ceux qui vivaient à la surface.
Ceux de la surface, elle ne les connaissait pas bien. Elle savait juste qu’ils étaient plus bruyants que les autres poissons, et que quand ils passaient, ils faisaient une grande ombre.
La murène n’avait pas d’amis. C’était à cause de ses dents qui effrayaient tout le monde. Seulement voilà, elle ne pouvait pas les enlever, d’abord parce qu’elle en avait besoin pour se nourrir, et aussi parce qu’il n’existait pas de poissons dentistes.
S’il n’y avait pas de poissons dentistes, c’est parce que la plupart des poissons n’ont pas de dents, ce qui limite la demande. Sous la mer aussi, on connaît les lois du marché.
Récapitulons : notre murène était agile mais peu enclin à la réflexion, elle n’avait pas d’amis mais elle avait des dents. Voilà qui me semble bien équilibré.
La vie de la murène n’était pas très compliquée. Elle cherchait à se nourrir, elle se nourrissait, elle dormait et parfois elle se reproduisait. C’est très simple. C’est tellement simple que tous les poissons font ça. C’est ce qui les différencie de ceux de la surface.
Car ceux de la surface font un truc bizarre en plus. Ils tendent des filins entrelacés et les plongent dans la mer. Puis ils attrapent tous les poissons qui passent avec. Personne ne sait à quoi ça leur sert. Si personne ne sait à quoi ça leur sert, c’est que personne n’y a réfléchi. Et si personne n’y a réfléchi c’est qu’il n’existe pas de poissons philosophes. S’il n’y a pas de poissons philosophes, c’est parce que les poissons sont obligés de se nourrir, dormir et se reproduire. Ils n’ont plus le temps de se poser des questions. Et c’est bien dommage.
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