Je n’en revenais pas encore de l’audace de Baltyr. Etait-ce mon maître qui lui avait parlé de ma boule à rêves ? Non, ce n’était pas possible. J’avais été présent durant tout leur échange, j’aurais entendu… Nous étions à l’orée d’une forêt humide, sombre, et plus inquiétante encore que les précédentes. Mais sur le côté, on voyait un charmant petit sentier qui plongeait sans se salir dans les sous bois malodorants. - C’est par ici, dit Baltyr en désignant le chemin propret. Je ne saurais trop vous dire pourquoi mais ce chemin ne me disait rien qui vaille. Oui, parfaitement, le petit chemin propret ! Il me donnait la chair de poule, et bien que cela n’ait été qu’un pressentiment, je préférais me glisser dans la pénombre malsaine de la forêt. - Es-tu certain que cela soit le chemin ? - Parfaitement ! Par où veux-tu passer ? rétorqua Baltyr en ricanant. Je soupirai bruyamment, jetai un regard à Luciole qui haussa les épaules et nous nous remîmes en marche. C’était très étrange de sentir le poids malfaisant de la forêt épargner ce sentier où fleurissaient des fleurs odorantes, où chantaient des oiseaux enchanteurs. J’ouvrais de grands yeux en observant, tout autour de moi, ce si bel endroit, le plus avenant depuis le début de notre voyage. Cléia semblait aux anges, elle furetait partout, voletant de ci de là, cueillant des baies, des fleurs. On eut dit qu’elle était rentrée chez elle et son bonheur faisait plaisir à voir. Moi, je restai sur la réserve, car tout cela me paraissait trop beau pour être vrai. D’ailleurs, l’attitude de Baltyr n’était pas pour me rassurer car il était encore plus morose et son air plus maléfique que jamais. Nous avancions aisément, un peu groguis par les parfums envoûtants qui nous enveloppaient. Nous marchâmes ainsi une bonne heure sans que rien ne change. Mais soudain, Baltyr ne fut plus devant nous. Il disparut comme une flamme que l’on souffle. Nous entendîmes, Cléia et moi, un rire sarcastique s’éloigner puis nous vîmes le sentier que nous suivions fondre, un peu comme un dessin à la gouache sur lequel on aurait jeté un verre d’eau. Les couleurs coulèrent, les contours se brouillèrent. Cléia se jeta dans mes bras et je mis un genou à terre carseul le sol avait l’air stable. Cela ne prit qu’une minute pour que le joli petit sentier s’efface et laisse à sa place un sol boueux, des arbres pourris, un ciel de broussailles et le chant des corbeaux. Cléia leva les yeux et contempla le désastre. Je restai muet. Nous étions prisonniers d’une forêt inhospitalière, sans point de repère et sans Baltyr. Alors, c’était donc cela son plan. Ainsi, je ne m’étais pas trompé, Baltyr n’était pas un ami. - Restons calmes, Cléia. Tout n’est pas si négatif. Nous sommes peut-être perdus dans la forêt mais nous savons que nous allons bien vers la maison de Baba-Yaga, ce piège lui-même nous le prouve. Et puis, nous sommes ensemble et c’est une chance. Tant que nous restons ensemble, rien ne pourra nous arriver. Cléia grelottait. C’était une réaction normale car la température déjà froide en cette saison, avait dû encore baissé d’une dizaine de degrés quand le sentier avait « fondu ». - Cléia ? Il va falloir avancer. Si Baltyr est un traître, il n’empêche qu’il nous a donné des renseignements sur ce qui allait nous arriver. Nous risquons de rencontrer des leurres. Reste près de moi, et quoi qu’il arrive, ne t’éloigne pas de moi. J’essayai d’avancer à l’aveuglette. J’eus la réminiscence de cette nuit que j’avais passé dans la forêt de la Dame des Bois à poursuivre le papillon rouge et or. Aucune chance que j’en rencontre un ici… Alors que j’étais à ces réflexions, un superbe papillon rouge et or jaillit devant moi, laissant comme des traînées dorées derrière lui. Je restai interdit. Cela avait l’air si réel qu’il me fallut réprimer le désir violent de m’élancer à sa poursuite. Baltyr nous avait prévenu, nous allions être confrontés à des leurres. Celui-ci en était le premier. Avec un peu d’orgueil, je me dis que je serais bien assez fort pour contrer toutes les malices de cette forêt. Ce n’était pas de petits mirages qui allaient m’étourdir ! Je n’avais qu’à me persuader que tout ce que j’allais rencontrer dans cette forêt était factice !
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