Charlemagne fut-il le plus grand ennemi de l’ours que l’Europe ait connu? L’historien est en droit de se le demander, tant les massacres de ce fauve furent nombreux pendant son règne. En Germanie, ils prirent même un tour systématique à deux reprises, en 773 et en 785, chaque fois après une série de campagnes victorieuses contre les Saxons. Certes, le futur empereur n’a probablement jamais tué un ours de ses propres mains, même s’il fut aux dires des chroniqueurs un veneur redoutable, mais ses soldats, agissant sur ses ordres, se livrèrent dans les forêts de Saxe et de Thuringe à des battues destructrices de grande ampleur. À dire vrai, les ennemis des ours ne sont alors pas tant Charlemagne et ses troupes que les prélats et les clercs qui les entourent. Ce sont eux qui ont déclaré la guerre au plus fort de tous les animaux présents sur le sol européen et décidé son extermination, du moins en terre germanique. À cela, une raison précise: en cette fin du VIIIe siècle, dans toute la Saxe et les régions circonvoisines, l’ours est parfois vénéré comme un véritable dieu et fait l’objet de cultes qui peuvent prendre des formes frénétiques ou démoniaques, notamment chez les guerriers. Il faut absolument les éradiquer pour convertir ces peuples barbares à la religion du Christ. Tâche difficile, presque impossible, car ces cultes ne sont ni récents ni superficiels. Ils viennent de loin, de très loin, certainement de temps antérieurs à la période romaine – plusieurs auteurs latins y font déjà allusion-, et sont encore bien présents dans la Germanie profonde de l’époque carolingienne. A la suite de Tacite, les historiens ont beaucoup écrit sur les pratiques religieuses des anciens Germains. Tous ont souligné leur vénération des forces de la nature et décrit les cérémonies associées aux arbres, aux pierres, aux sources et à la lumière. Certains lieux étaient réservés à la divination ou à l’adoration des idoles; d’autres servaient à d’immenses rassemblements lors de moments spécifiques (nouvelle lune, solstice, éclipse) d’autres encore constituaient des lieux de sépulture remarquables. Partout, des rituels impliquant l’usage du feu et du sang rendaient hommage aux différentes divinités. Danses, transes, mascarades et déguisements étaient fréquents. Pour les évêques et leurs missionnaires, mettre fin à de telles pratiques ne fut pas aisé. Ils y parvinrent progressivement en substituant aux arbres et aux sources sacrés des lieux de cultes chrétiens, puis en transformant en saints un grand nombre de héros ou de dieux païens, enfin en bénissant ou sanctifiant la plupart des actes de la vie quotidienne. Mais cette christianisation resta longtemps illégale, et ce ne fut vraiment qu’après l’an mille que disparurent les derniers reliquats de l’ancienne religion. Bavards sur le culte des arbres et des sources, les historiens modernes ne l’ont guère été sur celui de l’ours, comme s’il avait été négligeable ou limité à certaines tribus. Tel ne fut pas le cas. Ce culte, bien attesté par les chroniques et les capitulaires, était largement répandu, non seulement en Allemagne mais aussi en Scandinavie. II a de bonne heure été dénoncé par plusieurs missionnaires s’étant aventurés bien au-delà du Rhin. En 742, par exemple, saint Boniface, alors en mission au cœur de la Saxe, dans une longue lettre adressée à son ami Daniel, évêque de Winchester, mentionne parmi les «rituels exécrables des païens» le fait de se déguiser en ours et de boire du sang de cet animal avant de partir au combat. Trente ans plus tard, dans une liste officielle, dressée par les prélats, de toutes les superstitions païennes qu’il faut combattre chez les Saxons, ces mêmes pratiques sont encore dénoncées, ainsi que d’autres, plus barbares encore. De telles coutumes ne sont pas neuves. Depuis des temps immémoriaux, l’ours est dans tout le monde germanique, au nord comme au sud, une créature spécialement admirée. Plus fort qu’aucune autre bête, il est le roi de la foret et celui de tous les animaux. Les guerriers cherchent à l’imiter et à s’investir de ses forces au cours de rituels particulièrement sauvages. Quant aux chef et aux rois, ils en font leur attribut préféré et tentent de s’emparer de ses pouvoirs par le biais des armes et des emblèmes. Toutefois, la vénération des Germains pour l’ours ne s’arrête pas là. À leurs yeux, ce n’est pas seulement un animal invincible ni l’incarnation de la force brutale; c’est aussi un être à part, une créature intermédiaire entre le monde des bêtes et celui des humains, et même un ancêtre ou un parent de l’homme. À ce titre, il est entouré de nombreuses croyances et fait l’objet de plusieurs tabous, portant notamment sur son nom. En outre, l’ours mâle passe pour être attiré par les jeunes femmes et les désirer charnellement: il les recherche souvent, les enlève parfois, puis les viole et donne naissance à des êtres mi-hommes mi-ours qui sont toujours des guerriers indomptables, voire des fondateurs de lignées prestigieuses. Les frontières de l’animalité sont ici bien plus incertaines que celles qu’enseignent les religions monothéistes. Aux yeux de l’Église chrétienne, tout cela est absolument effroyable. D’autant que cette vénération pour le grand fauve de la forêt ne concerne pas seulement le monde germanique. Elle s’observe également chez les Slaves et, à un degré moindre, chez les Celtes. Certes, ces derniers sont christianisés depuis plusieurs siècles, et leurs anciens cultes animaliers ont pris peu à peu des formes discrètes, survivant surtout dans la poésie et les traditions orales… (Extraits) Michel Pastoureau éd. SEUIL
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1. Le mercredi 7 février 2007 à 22:23, par LeLorrain
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Décidément, Siffreine kiffe vraiment les ours ! Alors voilà : l'ours ressemble beaucoup à l'homme, surtout quand il se déplace sur les pattes arrières. Chez les indiens d'Amérique du nord, il est fréquement apellé "presque humain", et s'il était permis de le tuer, il était interdit de le manger.
Chez les Celtes, une figure récurente de la mythologie est l'homme sauvage, un associal un peu sorcier qui vit en ermite au fond des bois, tout seul, comme un ours, auquel il est souvent associé. Ils sont d'ailleurs sencés se ressembler.
Ces mythes étaient si ancrés, que le christianisme n'a pas pu les effacer totalement. Or, quand le christianisme n'arrivait pas à effacer un rite ou un mythe païen, il l'assimilait en le déformant. La plupart des saints catholiques sont en fait d'anciennes divinités païennes, souvent celtiques ou latines, de même que les fêtes telles que la Saint Jean, l'épiphanie et même Noël ! Et notre homme-ours, dans tout ça ? Il est devenu saint Martin, qui dans son hagiographie (récit pseudo historique de la vie des saints) est décris comme un type taciturne, avec une épaisse tignasse brune emmêlée : bref, comme un ours !
Saint Martin était un saint très populaire au Moyen Age, mais sa fête, qui tombe le 11 novembre, passe désormais inaperçue car elle a été éclipsée par la commémoration de l'armistice qui a mis fin à la boucherie de 14-18. |
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