Mon ami me déposa au sol avec délicatesse et nous nous approchâmes en silence du petit être tremblant. C’était Baltyr. Mais un Baltyr affaibli, roué de coups, blessé, maigre et blême. Ses yeux étaient hagards et je me demandai un instant s’il n’avait pas sombré dans la folie. Alors que je posai un genou à terre près de lui, nous entendîmes des lamentations dans un autre coin de la cellule. Boon s’y précipita et un air de stupéfaction baigna son visage. - Lullaby, viens ! Ce que je vis me glaça le sang. Dans l’autre coin de la geôle se trouvait… Baltyr. Je reculai, pris de panique. Comment deviner quel était le bon ? - Baltyr, lançai-je hésitant. Les deux me regardèrent, égarés, tout aussi fébriles l’un que l’autre. Le même visage, les même blessures, les mêmes vêtements déchirés. Je compris soudain que le Baltyr qui nous avait fait tomber dans un piège était sans doute l’usurpateur et j’éprouvai une honte profonde d’avoir laissé ma méfiance corrompre mon cœur et ma lucidité, sans jamais penser que si Maître Pipenbois m’avait confié aux mains de Baltyr, c’est qu’il devait s’agir d’un être bon. L’autre n’était qu’un fripon et j’aurais dû en déduire que quelque chose n’était pas normal. Au lieu de ça, j’avais maudit secrètement mon maître de nous avoir mis entre les mains de ce traître ! - Je suis Baltyr, dis le premier. - Je suis Baltyr, dis le second. Boon, perplexe, allait de l’un à l’autre, les détaillant avec soin, plongeant son regard dans le leur. Mais il ne connaissait ni le vrai ni le faux Baltyr et il ne pouvait donc m’être d’aucune aide. Je me décidai à leur poser des questions. Qui est Pipenbois ? - Mon ami, répondirent-ils en chœur. Nous avions rendez-vous au pied du pic sans tête. Je passai en revue cette nuit-là. Mes soupçons… mes soupçons… Et Lian ? lâchai-je tout heureux. L’un des deux me répondit spontanément : - Ah, ce bon vieux Lian, l’ami du meunier ! L’autre murmura : - Quel dommage que plus personne n’apporte de farine au moulin et que Lian peste des toiles d’araignées qui se collent à sa tunique… Je sus qui était le bon Baltyr et ce n’ était pas le premier qui s’était contenté de répéter le peu qu’il avait appris de la bouche de mon maître le soir de la veillée. Quand il me vit m’approcher de lui, l’œil noir, l’usurpateur sut qu’il avait été démasqué. Ses yeux flamboyèrent. Aucun doute, c’était bien le traître aux corbeaux. Il se jeta sur moi. Quand il fut à ma hauteur, il était devenu l’horrible gros corbeau qui nous avait attaqués, Cléia et moi. Profitant de ma surprise, il tenta de me crever un œil mais j’eus le réflexe de protéger ma tête avec mon bras qu’il blessa. Boon vint alors à mon secours en feulant. Le corbeau s’attaqua alors à lui mais Boon était bien plus rapide et il ne parvint pas à l’atteindre. Comme Boon l’occupait, je me faufilai derrière lui pour le capturer mais au moment où mes mains se refermèrent sur ses ailes, il disparut en poussant un affreux croassement et je n’étreignis que du vide. La cellule résonna du nouveau silence qui l’habitait. A présent, il fallait faire vite car le Baltyr-corbeau allait certainement alerter les géants.
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