Baltyr se servit de la moustache que Boon avait arrachée au chat comme d’une aiguille. Il avait fait un trou pour pouvoir y enfiler du fil puis l’avait raccourcie de moitié. Ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux pour coudre mais cela fit l’affaire. Dans un immense torchon de lin, il entreprit de se tailler des vêtements convenables. Je n’en revins pas de la dextérité avec laquelle il sut se confectionner tunique et braies. - J’avais l’habitude de raccommoder les habits des humains que je protégeais la nuit, me dit-il en souriant à l’évocation de cet évident bon souvenir. En guise de fil, il défit la trame d’un tissu épais et les fils obtenus convinrent parfaitement à cet usage. Une fois son vêtement réalisé, il se fabriqua une besace presque identique à la mienne qu’il pourrait, le moment venu, remplir de nourriture. - On m’a pris ma besace quand on m’a attrapé. Avec leurs grosses mains, ils en ont fait de la charpie. Baltyr travaillait vite et bien malgré les conditions de fortune dans lesquelles il cousait. Ses doigts, presque guéris, dansaient avec agilité sur les morceaux de chiffons. Au final, personne n’aurait pu deviner qu’un jour, sa tunique avait été essuie-main et serviettes de table ! Enfin, il occupa son temps à se coudre un gros manteau qui aurait pu faire pâlir de honte un authentique couturier. Son ouvrage ne prit que quelques jours et le guérit tout à fait. Bien sûr, son poignet blessé le faisait encore souffrir, tout comme ses côtes. Mais il ne s’en plaignait pas, même pas en cousant : - C’est mon autre main qui fait tout le travail, et puis, je suis bien installé, ne t’en fais pas pour moi ! J’en ai vu d’autres ! Et son courage était pour moi, un exemple à suivre. Le jour de notre départ approchait. Boon fit une dernière razzia dans les provisions des géants. Il me tardait de partir et de rejoindre Cléia dont je m’inquiétais grandement. J’avais bien tenté d’interroger ma boule à rêves mais, têtue, elle ne dévoilait rien dans son épais brouillard. Et si cela avait signifié que… Non, il ne fallait pas y penser. Le gros chat hirsute nous avait aidé à trouver un moyen de sortir de la cité. Il nous avait expliqué que tous les jours, un géant sortait un gros seau rempli de déchets qu’il vidait sur un tas de compost à l’extérieur. Il suffisait de nous glisser dans le seau et d’attendre que l’heure du départ sonne. Je préférais, à tout dire, cette idée, à celle de Boon qui avait proposé de se réfugier dans un seau d’eau vide et d’attendre que le géant vienne faire sa corvée d’eau. Il était hors de question que je risque la noyade ! Cela n’avait même pas démoli la bonne humeur de Baltyr qui avait répondu du tac-au-tac : - Et bien nous aurions été bons pour un bain glacé ! Baltyr était un domovoy espiègle et drôle, enjoué mais sérieux et attentif. Ce Baltyr-là n’avait rien à voir avec le Baltyr inquiétant et secret que j’avais rencontré. Je me demandais même comment mon maître avait pu s’y laisser prendre ! Je pensais souvent au mauvais Baltyr et je me demandais au service de quel odieux personnage il était. Les ogres ? Non, cela n’était pas pensable car sinon, nous aurions déjà été trouvés et mis en prison ! Baba-Yaga ? Cela était possible. Nous le saurions vite… Baltyr, lui, me disait qu’il ne fallait pas que je me torture l’esprit avec ça, que nous finirions bien par retrouver le domovoy-corbeau et que nous en saurions alors plus…
|