Le chemin du retour fut avalé en 30 mn. Le cavalier devait être pressé car il faisait soutenir à son cheval un train d’enfer et l’écume moussait à la gueule de notre ami cheval. Baltyr, malmené par la rudesse du galop, ne partageait pas notre joie mais aucune plainte ni aucun reproche ne sortait de sa bouche. Il se forçait même à sourire et à nous dire que tout allait bien si on le lui demandait. Je n’avais plus ressenti la fulgurante douleur qui m’avait oppressé. Toutes mes pensées étaient tournées vers ma fée et je craignais que malheur ne lui soit arrivé. Etrangement, cette idée révélait une lucidité extraordinaire et je me blâmais de ne pas lui avoir dit combien elle était importante pour moi… Ma boule à rêves restait muette et je la maudissais en silence de m’aider si peu. Nous eûmes la chance que le campement des géants des sables soit établi au bord de la rivière des Lobastas. Nous en profitâmes pour nous glisser hors de la sacoche, remerciâmes chaleureusement Maître Cheval et sortîmes sans tarder du cercle de lumière dans laquelle baignait le camp. Somme toute, le séjour chez les géants s’était très bien passé et nous avait même permis de nous ravitailler. Boon désigna de sa longue main une masse plus sombre au loin : le gué nous tendait les bras. - Nous ne devrions pas traverser de nuit, chuchota Baltyr. Les Lobastas n’apprécieraient pas et nous n’aurions aucun moyen d’anticiper leurs actions. Profitons de la présence des géants dans les parages pour nous reposer un peu. Personne ne s’aventurera si près de leur camp et ainsi, nous pourrons dormir sans crainte. Nous nous rangeâmes à l’avis de Baltyr et nous nous installâmes entre les racines charnues d’un magnifique saule. Boon se recouvrit d’une couverture que nous avions pris soin d’emporter afin de camoufler sa lueur bleutée qui aurait pu susciter la curiosité de nos « protecteurs ». C’est confiants, donc, que nous nous endormîmes. C’est l’agitation des géants qui nous réveilla au petit matin. Boon, les yeux ouverts, observait les géants qui levaient le camp. Nous attendîmes en grignotant quelques provisions qu’ils se dirigent vers les collines avant de nous remettre en route. - Les géants partent en masse vers le nord, fit observer Baltyr. Quelque chose se trame… Quand le dernier géant ne fut plus qu’une ombre aux formes indistinctes, Boon s’étira en riant, s’élança dans les airs et enchaîna une série de voltiges qui firent de mon ami un valseur aérien. Je comprenais son euphorie : pour la première fois depuis bien longtemps, nous étions libres de nos mouvements, libres de marcher sans nous cacher. Baltyr, lui aussi, semblait fort heureux, mais, moins exubérant que le lutin de Cornouailles, il se contentait de tourner la tête de tout côté, se remplissant le cœur et l’âme d’espace, de lumière et de vie. Le gué se dessinait avec précision devant nous et rien n’aurait pu laisser penser qu’il fut différent des autres gués. Au contraire, une impression de quiétude planait sur le lieu inondé de la clarté du soleil matinal, bien qu’aucun bruit ne vienne se heurter à nos oreilles. C’était un véritable paradis niché entre les sombres forêts et un leurre pour qui traverserait car il pénétrerait alors dans les terres de Baba-Yaga. Bravement, nous reprîmes la route. J’avais craint que Baltyr ne nous ralentisse pourtant, un main tenant ses côtes, il nous précédait toujours d’un pas comme l’avait déjà fait le faux Baltyr. Si nous tentions d’adopter le même pas que lui, il accélérait encore pour nous devancer. Nous n’insistâmes pas. Boon qui ne pipait mot depuis notre départ, hocha la tête gravement avant de chuchoter à mon intention : - Baltyr, pas domovoy comme les autres… J’écoutai avec grand intérêt. - Baltyr, Eclaireur, houp. - Eclaireur, dis-tu ? - Houp, oui ! Annonciateur bonnes ou mauvaises nouvelles. Versant Sud fait passer nouvelles grâce à Eclaireurs de peuple en peuple. Métier dangereux, houp, houp… - Ce n’est pas si dangereux, répondit Baltyr sans se retourner. C’est une noble tâche dont il faut s’acquitter avec prudence et ruse. Baltyr s’arrêta, se retourna et me sourit : Allez, ne vous arrêtez pas, nous avons encore un bout de chemin à faire. Baltyr me laissa le rejoindre. - Baltyr ? - Hum… - Es-tu un des Eclaireurs dont fait partie la sœur de Cléia ? le questionnai-je. - Non, mon ami. J’ai été Eclaireur mais aujourd’hui, ma tâche est de t’accompagner, toi. Cette phrase avait été dite avec un tel sérieux que cela me contraria un peu. Baltyr dut s’en rendre compte car il passa un bras autour de mes épaules et ajouta : - Les temps sont difficiles en Féerie et personne ne sait quel rôle il aura à jouer mais quel que soit le tien, je serais avec toi. Baltyr en savait sans doute bien plus que ce qu’il me dit alors mais je pris le parti de ne pas lui en demander davantage. Nous verrions bien…
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