Premières phrases inspirées par l'original.

Château de T.
Le 1er juin 1909

Messieurs, et chers électeurs,

Le cœur brisé par une atroce douleur, il me serait impossible de continuer à exercer le mandat de conseiller général que vous m’aviez confié en 1869, et que j’ai rempli sans interruption jusqu’à cette date.
J’adresse donc ma démission à Monsieur le Préfet de la Manche. Si mon cœur pouvait encore trouver place pour une douleur, il la ressentirait par la pénible décision que je prends, mes chers et affectionnés électeurs.
Pendant toutes ces années, vos encouragements et votre estime m’ont apporté joie et satisfaction. La confiance que vous me témoigniez me consolait dans les jours les plus noirs. Mais aujourd’hui, mon affreuse tristesse me ronge de par dedans, laissant exsangue la moindre de mes pensées, et barrant le chemin à toute consolation.
Soyez assurés qu’il me coûte de quitter cette fonction que j’avais à cœur. Je m’exposerais, si je conservais ce mandat, à ne plus pouvoir l’exercer avec le zèle que j’ai toujours mis à défendre les intérêts de mon cher canton de Saint P. Je démissionne avec un sentiment d’immense gâchis.
J’écris cette lettre dans le salon de mon château. C’est ici que je donnais fêtes et réceptions, que je recevais les grands magistrats, ma famille et mes amis, dans une atmosphère de fête et de convivialité.
Tout ceci ne sera plus que souvenirs.
C’est dans cette pièce aussi que dans un calme absolu, je débattais seul des décisions à prendre, conscient de mes responsabilités. Dans ce silence enveloppant, me venait souvent le souvenir des fantômes de ces lieux. Je m’étais accommodé et amusé de la présence de ces spectres. Ma fille unique vient de rejoindre leur cortège.
Il faut voir le château où je vis désormais prostré. Sa façade blanche et noble comme dans un conte de fée, qui peine à dissimuler une horde de tours hirsutes crachant des fenêtres comme des furies.
Ma fille les aimait, nous vivions tous dans une euphorisante sérénité.
Comment imaginer le pire ? Ma fille unique s’est noyée, plus rien n’a d’importance. Vous comprenez ma douleur et mes regrets à présent. Que de temps perdu chers administrés. Ma femme aimait à dilapider ma fortune au casino. Pour ma part, j’ai dilapidé mon temps et mon argent à restaurer un château de fous qui aura eu raison de mon âme.
Mais tout ça est fini. Je n’ai plus rien. Je ne peux plus.
Je sens un immense vide que seules des angoisses viennent combler. Elles sont si vives que j’ai peur qu’elles me privent de raison. Voyez, j’ai peur de sortir, j’ai l’impression que dehors les canards me narguent. Ils plongent mais ressortent toujours la tête de l’eau. Je hais les paons aussi.
Quelle douleur. J’ai envie de briser les fenêtres. De faire voler en éclat la serre. Je ne sais plus rien. Vous comprenez ma douleur, que plus rien n’a d’importance ?
Plus que de démissionner, laissez-moi crever comme ces misérables qui vivaient en ces lieux mêmes par le passé. C’est drôle quand j’y pense, j’ai détruit la chapelle qu’ils avaient construite pour expier leurs crimes. Il fallait qu’ils comprennent qu’ il n’y a ni pardon ni consolation en ce monde. Et il faut que Dieu comprenne que contrairement à eux, je n’ai rien fait pour mériter un quelconque châtiment.
Ma fille unique s’est noyée, vous comprenez que je ne puisse plus exercer mes fonctions messieurs les gens.
La chapelle et la serre, il y a beaucoup trop de fantômes ici. J’ai peur des canards, je crois qu’ils sont devenus fous. Cela fait trois jours que je n’ai pas mangé. Je vous assure que les canards sont vraiment fous, ils n’arrivent pas à se noyer. Et la vigne ne peut s’enivrer toute seule. Plus rien n’a d’importance.
Pour conclure, mes chers électeurs et monsieur le président des nations patriotiques, je démissionne et vous embrasse bien pour la confiance que vous m’avez infligée. Ma chère épouse je ne suis pas sûre de vous avoir aimée. Monsieur le préfet de la Manche vous m’étiez d’un grand secours mais rapport aux canards ça n’allait plus. Les cloches sonnent mieux je trouve. Que mes vitraux éclairent les tombes des fous. Il faut une autre tour. Tu es jolie Marie aujourd’hui, si on allait tuer un canard ? Il faut creuser un bassin, on le remplira de larmes monsieur l’architecte. La serre c’est pour rien. Rappelez-moi au bon souvenir de sainte Philomène., c’est une donation du monsieur vide.

Adieu.

Vicomte de T.

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