Nous atteignîmes le gué en fin d’après-midi. Sur le chemin, Baltyr et Boon avaient mis en commun leurs connaissance des Lobastas pour m’en instruire. On disait d’elles que c’étaient des créatures malfaisantes qui régnaient sur les eaux tumultueuses. Comme les sirènes traditionnelles, elles arboraient quelques attributs du monde marin, les écailles et la queue de poisson notamment, ce qui n’enlevait rien à leur redoutable beauté et à leur pouvoir. Très jalouses de leur territoire, elles punissaient cruellement quiconque approchait leurs eaux, souvent par la noyade. Mais, proches de la mort, les rares victimes qui avaient pu en réchapper avaient révélé avec terreur avoir vu le visage des Lobastas se déformer en un hideux rictus de haine. C’était là leur véritable apparence. Une Lobasta isolée pouvait laisser la vie sauve au misérable qui aurait eu l’audace de pêcher dans ses eaux mais en clan, les Lobastas redoublaient de cruauté et il était quasiment impossible de déjouer leurs ruses et leurs pièges. - Je suppose que ce gué est protégé par de nombreuses Lobastas ? demandai-je sans beaucoup d’espoir. - Tu peux le dire… C’est en fait le clan le plus important de Féerie, précisa Baltyr sombrement. - Sait-on comment les amadouer ? me risquai-je. - A vrai dire… non. répondit mon ami. - Houp… eau profonde… houp… Nous mourrons vite… et tout propres, houp, ironisa Boon. Baltyr et moi nous tournâmes vers Boon qui avait décidément un drôle d’humour. Mais Boon, les yeux brillants, ne riait pas du tout. - Nous pourrions essayer de nous cacher ? proposai-je. - Il nous faudra bien nous mettre à découvert sur le passage à gué et c’est l’endroit où nous serons le plus vulnérables. Les Lobastas ne quittent pas leurs eaux, expliqua Baltyr. Tant que nous resterons hors de l’eau, nous ne risquerons rien, alors nous cacher… Tout en avançant, je réfléchissais à toute allure à une parade mais rien ne me venait. J’eus cependant l’idée de jeter un œil à ma boule à rêves, sans trop y croire. Boon et Baltyr s’approchèrent de moi et, ensemble, nous plongeâmes nos yeux dans les volutes ambrées. Il y eut comme un remous puis se matérialisèrent des objets : des gants, des cottes de mailles, de sortes de petits cailloux en métal brillant et un immense bouclier étincelant. Un frisson nous parcourut l’échine : vous savez sans nul doute que nous, les êtres magiques, éprouvons une immense répugnance pour le métal, le fer et l’acier surtout, les alliages n’ayant quasiment pas d’effet sur nous. C’est sans doute une des raisons qui fait que la majorité des clans du petit peuple est pacifique. Toucher ou être touché avec du métal signifie de grands maux et de vives brûlures. Certains sorciers se servent d’ailleurs de lames en acier pour torturer les créatures magiques dont ils veulent obtenir des informations. On raconte aussi que des cages toutes en fer pouvaient tuer l’essence magique dont nous sommes composés et donc, la vie d’un gnome en quelques heures. Certains clans avaient cependant développé une forte résistance au pouvoir du métal ; les elfes et les fées notamment, qui utilisaient sans crainte épées et autres instruments en fer. Hélas, les lutins, quelque soit leur clan, n’avaient aucune immunité contre l’acier, ce qui expliquait notre réaction. - Je ne comprends pas ce que veut dire la boule à rêves… dis-je. - Moi si, intervint Baltyr. Les Lobastas craignent comme nous l’acier. Il nous faut donc trouver ces objets pour que les sirènes ne daignent pas nous approcher. - Où trouver ? Houp. Rien que des cailloux, partout… Et c’était bien vrai. A moins de retourner chaque pierre de la berge dans l’espoir fou de déterrer épées, cottes de maille et bouclier, c’était là un travail de titan ! - Lullaby, quels sont les pouvoirs de ta boule à rêves ? demanda Baltyr. - Je ne sais pas vraiment, avouai-je. - Peut-être peut-elle t’offrir ces objets ? et en disant cela, il tendit la main cers la boule lumineuse. Mais la main buta contre la paroi tiède en émettant un petit son de cristal. Non, je me suis trompé, convint Baltyr. - Non, houp, houp, fit Boon avec exaltation, pas à Baltyr ! Boule à rêve, à Lullaby ! Lullaby essayer ! Je trouvais cette idée purement imbécile mais devant l’insistance de mes amis, je tendis une main mal assurée vers ma boule.
Il se fait tard, mes amis! Profitons des derniers beaux jours et accompagnez-moi pour une petite promenade! Je vous raconterais la suite bien vite!
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